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Chapter 9 - 9- Le fil rouge

9 – Le fil rouge

Quelques jours plus tôt, en rangeant distraitement les affaires d’Adrian, Camille était tombée sur un reçu glissé entre deux papiers. L’adresse indiquée n’évoquait rien de particulier, mais le nom en en-tête, “Maya Bien-Être”, avait résonné étrangement dans son esprit. Une coïncidence peut-être, mais l’idée que ce prénom corresponde à leur collègue, cette Maya à la beauté froide et aux silences polis, s’imposa à elle comme une évidence.

Elle avait alors mené sa propre enquête, cherché l’adresse sur Internet, exploré les avis en ligne, fouillé les réseaux sociaux. Ce centre existait bel et bien, discret, luxueux, fréquenté par une clientèle select.

Le lendemain matin, Camille s’éveilla avant l’aube. Adrian dormait encore, le visage tourné vers le mur, paisible en apparence. Mais pour Camille, ce calme avait quelque chose de sinistre. Une façade.

Elle quitta le lit sans bruit, prit une douche rapide, enfila un tailleur sobre et noua ses cheveux en un chignon strict. Aujourd’hui, elle avait besoin d’être concentrée. Glaciale, si nécessaire.

Sur le chemin du travail, ses pensées tournaient en boucle. Ce centre. Ce prénom. Cette Maya. Les fils semblaient se tendre dans une seule direction.

Camille arriva plus tôt que d’habitude. Elle s’installa à son bureau, mais son attention était ailleurs. Elle scrutait l’entrée jusqu’à voir Maya arriver, comme chaque jour, légèrement en retard, son sac à l’épaule et son air impénétrable.

Camille l’interpella doucement dans le couloir, feignant une conversation anodine.

— Maya, excuse-moi, tu aurais une minute ?

La jeune femme se figea, surprise. Elles échangeaient rarement plus de quelques banalités. Elle se tourna lentement vers Camille.

— Bien sûr. Que puis-je faire pour toi ?

— J’ai entendu parler d’un centre de soins… Espace Bien-Être Maya. Tu connais ?

Un éclair, imperceptible, traversa les yeux de Maya. Une fraction de seconde. Mais Camille ne rata rien.

— Non, répondit-elle. C’est drôle, j’en ai entendu parler moi aussi. Le nom m’a fait sourire, mais non, je ne connais pas.

Mensonge. Ou vérité habilement tournée ? Camille restait incertaine. Mais elle savait reconnaître un trouble.

— Oh d’accord, fit-elle avec un sourire doux. Je me disais que peut-être tu y travaillais à temps partiel. Ou que tu connaissais quelqu’un là-bas.

Maya secoua la tête en esquissant un sourire crispé.

— Non, pas du tout. Pourquoi cette curiosité soudaine ?

Camille haussa les épaules.

— Juste une conversation avec une amie. Elle voulait tester l’endroit. Je fais un peu le tour pour avoir des avis.

Maya parut se détendre légèrement. Puis elle s’éclipsa.

Mais Camille, elle, avait capté ce qu’elle était venue chercher : un doute. Un geste involontaire. Un pli sur un front trop lisse.

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Plus tard, à l’heure du déjeuner, Camille quitta discrètement le bureau. Elle s'était arrangée pour avoir une pause prolongée. L’adresse du centre était à une quinzaine de minutes en voiture. Elle n’était pas venue pour se faire masser.

Elle entra dans le hall vitré du centre. L’odeur d’huiles essentielles, la musique apaisante... tout était conçu pour détendre. Mais Camille était en alerte. Elle s’approcha de l’accueil.

— Bonjour, j’avais une question concernant une réservation.

La réceptionniste, une jeune femme au sourire trop poli, la salua avec courtoisie.

— Oui, bien sûr. Vous avez une réservation à votre nom ?

— Non. En fait, je voudrais savoir si mon mari est venu récemment. Il m’a dit avoir découvert votre centre, et je voulais lui faire une surprise en lui offrant une nouvelle séance. Il s’appelle Adrian Lambert.

Elle observa attentivement la réaction de l’hôtesse. Celle-ci fronça à peine les sourcils, hésita un instant.

— Je suis désolée, mais je ne peux pas divulguer d'informations sur nos clients, pour des raisons de confidentialité.

Camille sourit, douce.

— Bien sûr, je comprends. Mais vous savez, quand on est mariée depuis huit ans, on aime parfois faire des gestes inattendus. Surtout quand on sait qu’ils apprécient un endroit…

Elle laissa sa phrase en suspens. L’hôtesse sembla fléchir, ou peut-être craindre une plainte. Elle consulta rapidement l’écran.

— Je ne peux pas vous donner de détails, mais... il est effectivement venu. Deux fois, je crois. Début du mois et la semaine dernière.

Camille hocha la tête, masquant son trouble.

— Merci. C’est tout ce que je voulais savoir.

Elle quitta les lieux d’un pas mesuré. Mais son cœur tambourinait.

Deux visites. À quelques jours d’intervalle. Pendant que lui parlait de réunions ou de rendez-vous professionnels.

Elle s’arrêta sur le trottoir. Son téléphone entre les mains, elle hésita un instant. Puis, elle ouvrit l’application de suivi de localisation qu’elle avait installée sans le dire. Elle avait toujours cru qu’elle ne l’utiliserait jamais. Mais ce jour-là, elle appuya sur « Historique ».

Et le doute devint certitude.

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Ce soir-là, Adrian rentra un peu plus tôt que d’habitude. Il trouva Camille dans la cuisine, affairée à préparer le dîner. Elle leva les yeux vers lui avec un sourire chaleureux.

— Tu tombes bien. J’ai fait ton plat préféré.

Adrian parut surpris.

— Tu es de bonne humeur, on dirait.

— Pourquoi pas ? On a tous les deux eu des semaines chargées. Il est temps de se retrouver, tu ne crois pas ?

Il s'approcha, déposa un baiser rapide sur sa joue. Mais il y avait quelque chose dans son regard. Une prudence nouvelle. Comme s’il sentait que le terrain devenait glissant.

Camille servit le repas, trinqua avec lui, parla de tout et de rien. Et dans le silence entre deux phrases, elle observait.

Elle attendait.

Parce qu’à présent, elle savait. Et tôt ou tard, Adrian allait trébucher.

Et ce jour-là, elle serait prête.

À suivre ...

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