Neran se réveilla en sursaut. Son dos collé à une couche de métal froid. Il ne se souvenait pas s'être allongé. Il leva les yeux : le plafond était composé d’un patchwork de miroirs fêlés. Son reflet le regardait en fragments.
Il se redressa. L’entrepôt avait changé. Ou plutôt, il avait été modifié. Le miroir était encore là, mais il était désormais clouté sur un mur de pierre. Autour de lui, des symboles gravés dans le sol. Des spirales, des mots écrits à l’envers, des cercles brisés.
Il comprit.
Il n’avait pas quitté le lieu. Le lieu avait changé d’idée sur lui-même.
Son Refus avait eu un effet secondaire.
Il se leva lentement. Son corps était lourd, mais pas douloureux. Un murmure planait dans l’air, à peine audible, comme si le bâtiment retenait sa respiration. Il s’approcha du miroir. L’autre silhouette n’y était plus. Mais son propre regard… avait changé.
Plus noir. Plus profond.
Quelque chose de lui-même avait été déplacé.
— Tu l’as fait, murmura une voix derrière lui.
Neran sursauta, se retourna.
Un vieil homme était assis sur une chaise métallique, les mains jointes sur une canne. Il portait un manteau rapiécé, et ses yeux n’avaient pas de pupilles. Juste un gris uniforme.
— Qui êtes-vous ? demanda Neran.
— Celui qui te regarde depuis avant que tu refuses. Je suis le guetteur. Je garde les lieux qui changent sans bouger.
— C’était quoi, cette Sentinelle ?
— Un fragment du Sceau. Le système corrige les anomalies. Tu es maintenant une anomalie vivante.
Il se leva, lentement.
— Tu as effleuré le premier Voile. Ce que tu as refusé… n’était pas une personne. C’était une idée collective effacée. Et tu l’as ramenée. Tu sais ce que cela veut dire ?
Neran ne répondit pas.
— Tu ne vois pas encore, murmura le vieux. Mais d’autres vont te voir, maintenant. Des choses pires que les Sentinelles. Les Brise-Reflets. Les Nourrices du Vide.
Il s’approcha. Le sol grinçait sous ses pieds. Il leva un doigt et le posa sur le front de Neran.
— Ouvre la deuxième porte. Refuse non pas ce que tu vois… mais ce que tu es.
Une lumière noire explosa dans la tête de Neran.
Il chuta.
Et cette fois, il ne se réveilla pas dans un lieu connu. Il était dans le Voile.
Un espace entre les pensées. Un endroit où les lois de la perception pliaient sous sa propre volonté. Des structures flottaient dans l’air — escaliers vers nulle part, horloges sans aiguilles, visages qui tournaient sans jamais montrer leur profil.
Il comprit : c’était là que résidait le pouvoir.
Et c’était là qu’il allait devoir apprendre à se nier pour exister.