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Chapter 2 - Chapitre 2

Palmer la fit monter au premier étage. Le couloir semblait interminable, tapissé de portraits anciens qui la suivaient du regard. Kate avait la sensation d'être une intruse dans un musée privé, observée et jugée par des visages figés du passé.

Devant une porte en bois massif, le majordome s'arrêta.

— C'est ici, mademoiselle.

Il ouvrit la porte et s'effaça pour la laisser entrer.

La chambre était vaste, décorée dans des tons crème et bordeaux. Un lit à baldaquin trônait au centre, drapé de tissus lourds. Une grande fenêtre donnait sur les jardins, laissant filtrer une lumière douce malgré le ciel nuageux de Londres. Sur la coiffeuse, un vase contenait déjà des roses fraîches, trop soigneusement disposées pour être naturelles.

Kate resta immobile sur le seuil, incapable d'avancer.

Ce n'était pas sa chambre. Pas son odeur. Pas ses souvenirs. Ici, tout semblait étranger, trop parfait, presque étouffant.

— J'espère que cela vous conviendra, dit Palmer, toujours posé. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, tirez simplement la cordelette de service, quelqu'un viendra aussitôt.

Kate hocha vaguement la tête.

— Merci… murmura-t-elle, d'une voix éteinte.

Le majordome s'inclina légèrement, puis referma la porte derrière elle.

Le silence tomba.

Kate lâcha son sac au sol et avança lentement vers le lit. Elle s'assit sur le bord, ses doigts crispés sur le couvre-lit brodé. Ses yeux se remplirent de larmes qu'elle refusa de laisser couler. Elle avait l'impression d'avoir été déposée dans une cage dorée.

Elle se leva et marcha jusqu'à la fenêtre. Le jardin s'étendait à perte de vue, parfaitement taillé, trop ordonné pour être vrai. Elle posa son front contre la vitre glacée.

Un sentiment de solitude l'envahit, brutal.

Elle pensa à Mr Boxford, à ses rires, à ses conseils. Sa poitrine se serra. Ici, dans cette chambre somptueuse mais étrangère, ses souvenirs semblaient plus lointains que jamais.

Un coup discret frappa alors à la porte. Elle sursauta, essuya rapidement ses yeux, et resta figée.

— Kate ? La voix de James. C'est moi.

— vous vous êtes installée ? demanda-t-il en glissant les mains dans ses poches, l'air nonchalant.

— J'essaie, répondit-elle doucement. C'est… différent d'ici.

Il fit quelques pas dans la pièce, observant les lieux comme s'il les découvrait lui-même, avant de tourner son regard vers elle.

— Vous savez, j'ai repensé à ce que je vous ai dit tout à l'heure, dans la voiture… commença-t-il, un sourire ironique accroché aux lèvres.

Kate baissa les yeux, se souvenant parfaitement de sa phrase cruelle.

— Je n'aurais pas dû vous parler parler comme ça. C'était déplacé.

Elle releva la tête, surprise de l'entendre s'excuser.

— Merci, souffla-t-elle simplement.

Il s'approcha, s'appuyant contre le rebord de la coiffeuse.

— Mais vous devez savoir quelque chose sur moi, Kate… Je dis rarement les choses avec douceur. C'est ma façon de… tester les gens.

Elle le regarda longuement.

— Et vous pensez que je dois réussir ce test ?

— Je n'en sais rien encore, répondit-il avec une lueur de défi dans les yeux. Mais vous avez l'air plus tenace que vous ne voulez le montrer.

Kate esquissa un léger sourire.

— Je ne suis pas tenace, James. J'essaie seulement de rester à ma place.

— Votre place ? répéta-t-il en se redressant. Ici, personne n'a vraiment de place. Même pas moi.

Un silence s'installa, rempli d'une tension subtile. Puis James soupira et reprit :

— Quoi qu'il en soit, j'aimerais qu'on reparte à zéro. Vous et moi, on va devoir cohabiter. Alors autant… mieux se connaître.

Elle hocha timidement la tête.

— D'accord.

— Bien, dit-il en arquant un sourcil. Alors, dites-moi… Dois-je vous appeler "Kate", ou "la protégée de monsieur Boxford" ?

Cette fois, Kate éclata d'un petit rire nerveux.

— Kate suffira.

James lui rendit un sourire en coin, satisfait d'avoir obtenu cette réaction.

— Parfait. Kate, alors.

James finit par jeter un coup d'œil à sa montre.

— Bon… le dîner est dans une demi-heure. Reposez-vous un peu, vous avez l'air épuisée. Je viendrai vous chercher.

Kate hocha simplement la tête, soulagée qu'il ne cherche pas à prolonger cette conversation qui la laissait à la fois troublée et nerveuse.

— Merci, James.

Il eut un demi-sourire, presque moqueur.

— Ne me remerciez pas trop vite, vous pourriez le regretter.

Puis il quitta la chambre, la laissant seule avec le silence et ses pensées.

Allongée sur le lit, Kate ne tarda pas à sombrer. L'air du voyage, l'accueil glacial des enfants Boxford et l'intensité de James l'avaient vidée. Ses paupières devinrent lourdes et, sans même s'en rendre compte, elle s'endormit profondément.

Lorsqu'elle entendit la porte grincer de nouveau, elle sursauta, croyant que James revenait. Mais ce n'était pas lui.

Simon, appuyé contre le chambranle, l'observait avec un sourire ironique.

— Eh bien… Voilà donc la fameuse Kate, celle qui a réussi à s'attirer les faveurs de notre cher paternel. Je dois dire, vous avez un sacré talent pour faire une première impression… endormie dans votre chambre au lieu de vous présenter au dîner.

Kate se redressa brusquement, confuse.

— Oh non… je… je suis désolée. Je n'ai pas vu l'heure passer.

Simon entra, toujours avec cette nonchalance agaçante.

— Ne vous excusez pas. Je suppose que ça doit être épuisant, tout ça. Londres, la villa, et puis… nous.

Il ricana.

— Croyez-moi, même éveillée, vous n'auriez pas trouvé ça plus agréable.

Kate le regarda, un peu perdue face à son ton à la fois acerbe et étrangement franc.

— Vous n'avez pas votre langue dans votre poche, vous.

— Exactement, dit-il en s'asseyant sur le fauteuil près du lit. Contrairement à mon frère, je ne prends pas de gants. Ce que je pense, je le dis. Ça évite les malentendus.

Elle inspira profondément.

— Et… que pensez-vous de moi, Simon ?

Il arqua un sourcil, amusé par son audace.

— Vous voulez vraiment savoir ?

— Oui.

Simon la fixa un instant, puis répondit d'une voix tranquille :

— Vous êtes douce. Trop douce pour cette maison. Vous allez vous faire dévorer si vous n'apprenez pas à sortir les griffes.

Kate détourna les yeux, troublée.

— Peut-être que je n'ai pas de griffes.

— Alors, ma chère, il va falloir en trouver.

Un silence flotta, puis Simon se leva.

— Allez. Venez. Tout le monde vous attend déjà en bas. Et croyez-moi, mieux vaut que vous descendiez avec moi plutôt qu'avec James.

Il lui tendit la main, presque comme un gentleman, malgré son ton railleur.

La salle à manger était vaste, éclairée par un lustre ancien dont la lumière tombait sur une longue table dressée avec une précision presque militaire. L'argenterie étincelait, la porcelaine fine alignée, les verres reflétant les flammes des bougies.

Kate entra derrière Simon. Aussitôt, Maggie leva les yeux sur elle, l'évaluant de la tête aux pieds avec ce regard dur, presque méprisant.

Il avait cette allure décontractée, les mains dans les poches, un sourire moqueur accroché aux lèvres.

— Ah, Tiens… la nouvelle venue a daigné se réveiller. fit Maggie, glaciale. La protégée de Monsieur Palmer. Je pensais que vous auriez au moins la décence d'arriver à l'heure.

Kate rougit légèrement. Elle s'excusa d'une voix douce :

— Je… je suis désolée.

Simon, déjà installé, croisa les bras et lança avec son sourire ironique :

— Voyons, mère, ce n'est pas bien grave. Notre invitée a dû être fatiguée par le voyage. Ou bien… par les souvenirs qu'elle laisse derrière elle.

Kate sentit la pique, mais elle ne répliqua pas. Elle se contenta d'abaisser les yeux vers son assiette.

— Merci de m'avoir réveillée, dit-elle doucement.

Maggie, déjà installée à la tête de la table, la dévisagea avec cette sévérité glaciale qui ne la quittait jamais.

— Si Simon doit aussi vous servir de domestique, où allons-nous ?

Kate baissa les yeux, malmenée par ce ton tranchant.

Simon haussa les épaules, toujours avec son demi-sourire.

— Allons, mère, ne soyez pas si dure. J'ai simplement accompli une bonne action. Après tout, il aurait été dommage que notre convive manque ce dîner, n'est-ce pas ?

Jack leva à peine les yeux de son assiette et hocha la tête pour saluer Kate, sans un mot de plus.

La jeune femme prit place, encore intimidée. La tension dans l'air était palpable.

Simon, assis juste à côté d'elle, se pencha légèrement et murmura assez fort pour que les autres puissent entendre :

— Ne vous inquiétez pas, ils finissent toujours par s'habituer aux nouveaux… comme à une nouvelle tapisserie. Faut juste tenir le choc au début.

Maggie tapa légèrement son couteau sur la table, exaspérée.

— Simon, assez !

Mais lui, amusé, attrapa sa fourchette, l'air innocent.

— Quoi ? Je ne dis rien de mal.

Kate, malgré la gêne, sentit ses lèvres trembler d'un sourire étouffé. C'était la première fois depuis longtemps qu'on désamorçait un peu la tension autour d'elle.

Maggie reprit, sa voix coupante :

— Vous devez comprendre, mademoiselle… Ici, nous n'avons pas besoin de faux semblants. Je ne vais pas prétendre que votre présence est agréable.

James, qui s'était retenu jusque-là, posa son couteau sur la table avec un bruit sec.

— Mère.

Maggie tourna la tête vers lui, un peu surprise par son ton ferme.

— Quoi, James ? Tu voudrais que j'accueille cette fille comme une enfant de la maison ? Tu voudrais que je ferme les yeux sur ce qu'elle représente ?

Un silence pesant s'installa. Simon se pencha légèrement en avant, son regard posé sur Kate.

— Vous devez savoir où vous mettez les pieds, dit-il, toujours avec ce sourire ironique. Ici, rien n'est simple. On ne vous fera pas de cadeau.

Kate inspira doucement. Elle se sentait petite face à eux, mais elle tenta malgré tout de parler.

— Je ne suis pas venue pour prendre la place de qui que ce soit. Je voulais juste… trouver ma place.

Un rictus passa sur les lèvres de Maggie.

— Votre place ? Ici ? Vous n'en avez aucune.

James serra les mâchoires, prêt à répliquer, mais c'est Jack qui rompit le silence, sa voix basse mais claire :

— Mère… ça ne sert à rien.

Maggie détourna le regard, glaciale, et se remit à couper sa viande.

La tension resta suspendue dans la pièce, palpable, tandis que Kate, le cœur serré, se força à avaler une bouchée.

Dans le petit salon, la théière fumait doucement sur la table basse. Maggie tenait sa tasse comme une arme, son regard flamboyant.

— Je n'arrive pas à comprendre, souffla-t-elle, pourquoi elle est ici, sous ce toit.

Simon, étendu nonchalamment dans son fauteuil, leva un sourcil ironique.

— Parce qu'il semblerait que père avait un goût pour les causes perdues.

Maggie se tourna brusquement vers lui.

— Simon !

— Oh, allons, mère. Ne faites pas semblant. Vous pensez exactement la même chose, vous êtes juste trop polie pour le dire directement… enfin, pas toujours, ajouta-t-il en souriant.

Jack posa calmement sa tasse.

— Qu'on le veuille ou non, Kate est là. Et ça ne changera rien d'en parler toute la soirée.

James, jusque-là silencieux, fit tourner son verre entre ses doigts.

— Jack a raison. Le sujet est clos.

Mais Maggie explosa à nouveau :

— Le sujet n'est pas clos, James ! Cette fille est une inconnue, elle débarque de nulle part, et on devrait accepter sa présence comme si de rien n'était ?

Palmer, resté en retrait, intervint avec sa voix posée :

— Elle n'est pas "une inconnue". Monsieur Boxford l'a accueillie et protégée. Elle a sa place, que cela vous plaise ou non.

Un silence lourd suivit. Simon rompit l'ambiance d'un ton faussement léger :

— Voilà qui promet une cohabitation des plus… divertissantes.

Pendant ce temps, Kate, épuisée et blessée par ces paroles qu'elle devinait sans peine, s'était réfugiée dans sa chambre. Elle pleura longtemps, jusqu'à ce que le sommeil l'emporte.

Mais en pleine nuit, ses yeux s'ouvrirent. Impossible de se rendormir. Elle enfila un châle, sortit discrètement, et descendit les escaliers en silence.

La maison était plongée dans l'obscurité, seulement éclairée par les lampes extérieures qui projetaient leurs halos pâles à travers les baies vitrées.

Au fond d'un couloir, une faible lumière filtrait sous une porte entrouverte. Intriguée, Kate s'approcha. Elle poussa doucement la porte : un bureau vaste, chargé d'étagères, avec une odeur de cuir et de vieux papiers.

James était là, assis derrière un large bureau, l'écran de son ordinateur illuminant son visage concentré.

Un craquement discret du parquet fit lever ses yeux.

— Vous ne dormez pas ? dit-il, la voix basse, presque rauque.

Kate rougit, surprise d'être découverte.

— Je… je n'arrivais pas à trouver le sommeil.

James referma un dossier, puis la regarda longuement.

— Vous pleuriez.

Elle détourna les yeux.

— Comment le savez-vous ?

Un léger sourire ironique effleura ses lèvres.

— Vos yeux sont rouges, et vos pas… hésitants. Ça se voit.

Kate baissa la tête, gênée.

— Je suis désolée si je dérange.

Il se leva, fit quelques pas vers elle, mains dans les poches.

— Vous ne me dérangez pas. Mais descendre seule, la nuit, dans une maison qui vous est étrangère… c'est imprudent.

— Je voulais juste… respirer un peu, murmura-t-elle.

Un silence s'installa, seulement brisé par le tic-tac de l'horloge du bureau. Puis James ajouta, d'un ton un peu plus doux :

— Vous allez devoir apprendre à être forte ici, Kate. Personne ne vous fera de cadeau.

Elle releva timidement les yeux vers lui.

— Même pas vous ?

James eut un sourire énigmatique.

— Surtout pas moi.

James se tenait appuyé contre son bureau, les bras croisés. La lampe posée à côté projetait une lueur chaude qui contrastait avec le froid de son regard.

Kate, figée dans l'embrasure de la porte, hésitait à entrer.

— Vous comptez rester plantée là toute la nuit ? demanda-t-il, avec une pointe de sarcasme.

Elle inspira doucement, puis fit quelques pas, serrant son châle contre elle.

— . Je ne voulais pas déranger.

— Vous avez le chic pour apparaître quand on ne s'y attend pas, fit-il remarquer, un sourire en coin.

Kate s'arrêta à une certaine distance, son regard glissant sur les étagères chargées de livres, les dossiers empilés, la tasse de café à moitié vide.

— Vous travaillez toujours à cette heure ?

James haussa une épaule.

— Disons que le sommeil et moi, on n'est pas les meilleurs amis du monde.

Elle pinça les lèvres, baissa les yeux.

— Moi non plus… pas ce soir en tout cas.

Il la dévisagea un instant, intrigué par sa sincérité.

— À cause de ma famille ?

Elle ne répondit pas tout de suite. Puis, d'une voix douce mais ferme :

— Ce n'est pas facile de se sentir… indésirable.

James s'avança d'un pas, pencha légèrement la tête.

— Vous n'êtes pas naïve, n'est-ce pas ? Vous saviez que ce serait compliqué.

Kate hocha la tête.

— Mais je ne pensais pas que ça ferait aussi mal.

Il esquissa un sourire ironique.

— Alors vous avez encore beaucoup à apprendre sur nous.

Elle osa le regarder droit dans les yeux, malgré le frisson qui la traversait.

— Et vous, James ? Vous êtes comme eux ? Vous pensez que je n'ai rien à faire ici ?

Un silence pesa. Il soutint son regard, puis soupira, un peu plus sérieux.

— Je pense que vous êtes un mystère. Et je n'aime pas les mystères sous mon toit.

Kate fronça légèrement les sourcils.

— Je ne suis pas un mystère. Juste… quelqu'un qui a perdu ses repères.

James s'adossa à son bureau, croisa les bras à nouveau, comme pour se protéger.

— Peut-être. Mais croyez-moi, ici, la faiblesse attire les griffes.

Elle se mordit la lèvre, puis lâcha dans un souffle :

— Je ne suis pas faible.

Ses mots résonnèrent plus forts qu'elle ne l'avait prévu. James haussa un sourcil, presque amusé.

— Voilà enfin un peu de caractère… Ça vous va mieux que vos larmes.

Un léger rouge monta aux joues de Kate. Elle détourna le regard, fixant le tapis épais sous ses pieds.

— Vous êtes cruel quand vous parlez ainsi.

Il s'approcha davantage, réduisant la distance entre eux.

— Ou peut-être juste honnête. Les gens ici ne vous diront pas toujours la vérité, Kate. Moi, si. Même si ça pique.

Elle releva timidement les yeux, surprise par la gravité dans sa voix.

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