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Chapter 17 - Chapitre 17: Le Lys et la Clé

La nuit s'était épaissie autour d'eux comme un manteau humide.

Le groupe venait d'émerger dans la cour arrière de l'internat de l'Académie arcanique, baignée par la lumière pâle des projecteurs suspendus aux hauts piliers de pierre. L'air froid leur frappa le visage, chargé de cette odeur métallique qu'on associe aux alarmes, à la peur et à la fuite.

Nyx jeta un dernier regard en arrière.

La silhouette du bâtiment administratif se dessinait dans la brume, éventrée, déformée, respirant encore la magie déchaînée qui avait tout balayé.

Les sirènes retentissaient toujours, longues plaintes stridentes qui se réverbéraient sur les vitres et se perdaient dans les hauteurs de la cité.

Leur cœur battait encore au rythme de cette alarme.

Aïcha fut la première à briser le silence, la mâchoire serrée, le regard dur :

"Cette dingue ne va pas tarder à nous balancer. Il faut disparaître avant l'aube. Le directeur Elric est sûrement déjà informé."

Ses mots tombèrent comme une condamnation.

Tom, habituellement si bavard, se contenta d'un signe de tête.

Il jeta un œil à Star et Nyx leurs visages étaient pâles, leurs vêtements encore couverts de poussière d'ombre et de fragments d'énergie dissipée.

Un court silence s'installa.

Les quatre se regardèrent. Pas un mot, mais un accord tacite : ils savaient ce qu'ils avaient à faire.

Puis, d'un même élan, ils s'élancèrent dans la nuit.

Leurs pas résonnaient à peine sur les pavés humides.

Leurs ombres glissaient le long des murs, se fondant dans le décor urbain, avalées par les recoins sombres de l'académie endormie.

Quelques minutes plus tard, Star s'effondra à genoux, haletant, les mains au sol.

Son souffle formait des nuages éphémères dans l'air glacial.

-:" On ne pourra pas fuir éternellement…" murmura-t-il, la voix cassée.

Nyx s'accroupit près de lui, posant une main sur son épaule.

-:" Non." répondit-elle simplement, d'une voix douce mais ferme.

Ses yeux brillaient d'une fatigue contenue, mais aussi d'une détermination nouvelle.

Ils regagnèrent finalement les dortoirs des classes moyennes, aile nord, salle 9.

Les murs gris semblaient les observer, silencieux témoins de leur retour clandestin.

Aïcha prit la garde à la porte pendant que Tom vérifiait les rideaux et les enchantements de discrétion.

Star et Nyx, eux, étalèrent sur le bureau tout ce qu'ils avaient réussi à sauver du chaos.

La clé, l'objet arcanique trouvé dans le bureau du directeur, reposait au centre du bois, fine, d'un métal sombre qui pulsait faiblement à intervalles réguliers, comme un cœur endormi.

C'était la seule preuve tangible de leur intrusion.

Les documents, en revanche, n'étaient plus que cendres et lambeaux.

Nyx effleura la clé du bout des doigts.

-:" Les archives ont brûlé, mais pas ça. C'est forcément lié."

Star hocha lentement la tête, les yeux fixés sur le symbole gravé à la base — trois cercles entrelacés, à moitié effacés.

-:" 'Projet Gargantuesque – ■■■' et 'Projet A&Z'… tout a disparu avec l'explosion. Mais cette clé, c'est peut-être la porte vers ce qu'ils voulaient cacher."

Tom prit la parole, la voix basse, hésitante :

-:" Vous croyez qu'ils nous observaient depuis le début ?"

Nyx esquissa un sourire sans joie.

-:" L'académie n'est pas un lieu d'étude. C'est un organisme vivant. Elle observe, teste, juge, et élimine probablement."

Star releva les yeux vers elle, l'air grave.

-:" Alors on va continuer. Pas pour jouer les héros… mais pour comprendre. Pour savoir qui on est. Pourquoi on a été amenés ici."

Le silence qui suivit n'était pas celui du doute, mais celui d'une promesse.

Ils savaient qu'ils venaient de franchir une ligne invisible celle qu'aucun élève n'était censé approcher.

La vérité qu'ils cherchaient avait un prix, et ils venaient d'en payer la première part.

Aïcha s'appuya contre le mur, les bras croisés, son regard balayant le groupe.

-:" Alors c'est décidé. On garde profil bas, on ne dit rien, et on avance ensemble. S'ils croient qu'ils peuvent nous effacer, qu'ils essayent."

Un souffle de confiance parcourut la pièce.

Même épuisés, même blessés, ils tenaient debout.

Et dans cette salle silencieuse, éclairée seulement par la faible lumière de la lune filtrant à travers les rideaux, quelque chose naquit non pas un pacte d'amis,

mais une alliance de survivants.

Leur découverte ne les avait pas condamnés.

Elle les avait définis. Comme les fragments d'une vérité plus vaste, encore tapie sous les ruines du mensonge.

[Célestian/ Académie Arcanique, Bureau du Directeur Elric. 00h57]

La nuit était tombée sur l'Académie, mais la lumière ne quittait jamais le bureau du directeur.

Une vaste pièce, à la fois solennelle et glaciale : hauts plafonds voûtés, murs tapissés de bibliothèques noires, et au centre, un bureau en marbre bleu nuit, poli au point de refléter les visages comme un miroir d'eau calme.

Sur le côté, les rideaux étaient à demi tirés, laissant entrevoir les jardins enneigés baignés d'un clair de lune blafard.

Un cliquetis discret retentit : la porte s'ouvrit

Eleanor-de-lys entra, drapée dans un manteau blanc, les bottes encore couvertes de poussière.

Ses cheveux d'un rose presque argenté glissèrent sur ses épaules comme une cascade. Elle ne prit pas la peine de saluer.

Son regard croisa celui du directeur Elric, ce même homme aux traits durs, aux yeux d'un bleu trop clair pour paraître humain. Il se tenait debout, derrière son bureau, mains croisées dans le dos, face à la fenêtre.

Le silence régnait, pesant. Le tic-tac régulier d'une horloge ancienne marquait le seul rythme dans cette atmosphère étouffante.

Eleanor s'arrêta à quelques pas, un léger sourire effleurant ses lèvres.

-:" Vous m'avez fait appeler, Directeur. Je suppose que c'est pour… les "dommages collatéraux" ?"

Sa voix se voulait douce, presque moqueuse.

Elric ne répondit pas immédiatement.

Lorsqu'il parla enfin, sa voix était calme, mais son ton portait une force glaciale.

-:" Trois étages ravagés. Deux sections de la sécurité en quarantaine. Un système de surveillance à reconstruire intégralement. Et tout cela pour "assouvir votre curiosité", je crois ?"

Elle soutint son regard, un rictus d'arrogance se dessinant au coin de sa bouche.

-:" Des intrus ont pénétré dans une zone restreinte. J'ai estimé qu'un simple avertissement n'aurait pas suffi. Le feu est parfois plus instructif que la parole."

Elric s'avança lentement, contournant son bureau.

Son ombre s'allongea sur le parquet, jusqu'à effleurer celle d'Eleanor.

Il s'arrêta à un mètre d'elle, les mains jointes.

-:" Vous vous prenez pour une enseignante, maintenant ?"

-:" Non, répondit-elle sans fléchir, je me contente de remettre les choses à leur juste place."

-:" C'est-à-dire ?"

-:" En dessous de moi."

Un silence.

Puis, un léger rire s'échappa des lèvres d'Elric. Pas un rire joyeux, mais un son bref, désabusé.

Il leva la main, et d'un geste précis, saisit le menton d'Eleanor entre ses doigts, la forçant à lever le visage.

-:" Vous avez toujours ce ton, n'est-ce pas ? Celui d'une enfant qui croit régner sur un jardin qu'elle ne comprend pas."

Eleanor le toisa, un éclat froid dans le regard.

-:" Vous oubliez que je ne suis pas une enfant, Elric. Je suis la messagère du Lys Céleste. Je n'ai pas à—

-:" À me rendre de comptes ?" coupa-t-il, son ton à peine plus haut, mais infiniment plus tranchant.

Il se pencha, si près qu'elle sentit son souffle.

-:" Votre titre ne fait pas de vous une déesse, Eleanor. Il fait de vous mon arme. Et une arme qui s'excite sans ordre finit par se retourner contre la main qui la brandit."

Elle serra la mâchoire, mais ne répondit pas.

L'étincelle d'orgueil dans ses yeux vacilla un instant imperceptiblement, mais assez pour qu'Elric le remarque.

Il la relâcha et fit un pas en arrière, reprenant son calme implacable.

-:" Je ne vous punirai pas, mademoiselle. Pas aujourd'hui. Vous valez encore mieux qu'une remontrance."

Puis, en se tournant vers la fenêtre :

"Mais si vous voulez conserver cette illusion de liberté à laquelle vous tenez tant, apprenez à la rendre utile."

Eleanor croisa les bras, reprenant contenance.

-:" Utile ?"

-:" Oui. À surveiller les intrus. À évaluer les failles de l'académie. À me rapporter ce que je dois savoir avant que le Conseil ne le découvre. Vous aimez manipuler ? Très bien. Faites-le à ma manière, et non à la vôtre."

Elle resta silencieuse un moment, ses doigts glissant sur le rebord du bureau.

Puis, dans un murmure presque insolent : "Et si je refusais ?"

Elric la regarda, amusé.

Il s'approcha à nouveau, et posa une main sur son épaule, comme un père bienveillant ou un serpent.

-:" Alors je briserais votre Lys… pétale après pétale. Et je verrais combien de temps il vous faut pour supplier qu'on le recolle."

Un frisson parcourut la pièce.

Eleanor se raidit, mais son expression demeura stoïque. Elle comprit : il n'avait pas besoin de hausser le ton pour l'écraser.

Chaque mot, chaque inflexion était une gifle silencieuse.

Finalement, elle esquissa un sourire poli, presque courtois.

-:" Très bien, Directeur. Considérez cela comme un… ajustement de ma part."

Elle fit une révérence légère, élégante.

-:" Mais souvenez-vous : même une arme peut apprendre à choisir sa cible."

Elric eut un léger sourire.

-:" Et un artisan apprend toujours à manier ce qu'il forge."

Elle quitta le bureau, ses pas résonnant comme des coups de marteau sur le sol marbré.

Lorsqu'elle franchit la porte, Elric resta seul, son regard tourné vers la fenêtre. Dans la vitre, le reflet de la jeune femme s'effaçait lentement remplacé par celui d'un homme dont les yeux ne connaissaient ni la peur, ni le doute.

Il murmura pour lui-même :

-:" L'orgueil est une flamme… il suffit de souffler au bon moment pour qu'elle éclaire ou qu'elle consume."

***

Les lourdes portes du bureau d'Elric se refermèrent dans un grondement feutré.

Le couloir, vaste et désert, baignait dans une lumière pâle. Les vitraux projetaient sur les murs des reflets bleutés, comme des cicatrices de lumière.

Eleanor marcha lentement, ses talons résonnant sur le marbre glacé.

Son expression restait impassible, mais à chaque pas, une tension s'effritait.

Elle inspira profondément, serrant les poings, jusqu'à en blanchir les phalanges.

"Une arme… rien de plus."

Les mots d'Elric résonnaient encore dans sa tête.

Elle avait beau feindre l'indifférence, son orgueil brûlait sous la peau. Ce qu'il appelait « discipline » n'était que domination.

Et pourtant, elle se taisait.

Elle s'arrêta devant une fenêtre donnant sur les jardins endormis.

La brume recouvrait les allées, les statues paraissaient pleurer sous la rosée.

Eleanor posa sa main contre la vitre, le regard lointain.

Pourquoi ne pas lui avoir dit ? Pourquoi leur avoir épargné ça ?

Le directeur aurait fait disparaître ces deux intrus sans même un rapport d'incident.

Nyx et Star.

Deux noms anodins, mais une présence qu'elle n'arrivait pas à oublier. Il y avait, dans leurs yeux, une étincelle différente quelque chose que ni elle, ni Elric, ni aucun de ceux qu'elle servait, ne possédait plus depuis longtemps.

-:" Ils ont osé franchir la ligne… pas par arrogance, mais par besoin de comprendre.

Moi, je n'ai fait que jouer le rôle qu'on attendait de moi."

Son reflet dans la vitre se déforma légèrement, happé par les ombres du couloir.

Elle y vit ce qu'elle était devenue : une silhouette parfaite, polie par la peur, sculptée par l'autorité.

Et pourtant, quelque part, une fissure s'ouvrait.

-:" Je ne les ai pas trahis… parce qu'ils ne m'appartiennent pas, murmura-t-elle, la voix basse, presque pour elle-même. Et parce qu'Elric n'a pas besoin de tout savoir."

Elle redressa la tête, chassant le trouble de son regard. Son sourire revint, froid, impeccable.

La comédienne reprenait le masque.

Mais tandis qu'elle s'éloignait, une idée la poursuivit, lancinante :

"Et si, cette fois, c'était moi… l'intruse dans son jeu ?"

***

Le lendemain matin, la lumière filtrait à travers les stores métalliques des dortoirs, dessinant des bandes pâles sur les visages fatigués. La nuit avait été courte à peine quelques heures de repos après leur fuite effrénée.

Le silence pesait encore dans la chambre, seulement brisé par le bourdonnement lointain des canalisations et les cris des premiers élèves déjà éveillés dans les couloirs.

Star, ensevelie sous sa couverture, dormait encore profondément. Son visage, habituellement expressif, semblait figé dans une fatigue muette, presque mélancolique. Ses paupières tremblaient légèrement un signe qu'il rêvait encore de l'affrontement de la veille, ou peut-être du regard froid d'Eleanor dans les décombres du bureau.

Aïcha, déjà debout, s'étira longuement.

-:"Tu comptes rester là toute la matinée ?" lança-t-elle d'un ton faussement agacé.

Aucune réponse.

Elle soupira, passa la main dans ses cheveux ébouriffés, puis s'approcha du lit.

-:" Allez, lève-toi, dormeur céleste. Si Tom était là, il t'aurait déjà sortie du lit à coups de tendresse."

Star grogna, tirant la couverture encore plus haut sur son visage. Aïcha leva les yeux au ciel, puis décida d'utiliser une méthode… plus directe. Elle arracha la couverture d'un coup sec.

-: "Debout !"

-: "Mais… il fait encore nuit !" protesta Star, la voix pâteuse.

-: "Non, c'est juste ton âme qui refuse de voir le jour." Répliqua Aïcha avec un petit sourire en coin.

Après quelques minutes de protestations et de soupirs résignés, Star finit par se lever. Il s'assit au bord du lit, les cheveux en bataille, le regard vide.

Le miroir mural reflétait leurs visages encore marqués par la fatigue des cernes lourdes, des épaules tendues. Pourtant, dans ce désordre matinal, quelque chose d'humain persistait : un semblant de normalité.

Pendant ce temps, dans un autre couloir du bâtiment S, Nyx inspira profondément devant la porte de sa salle. Elle avait failli être en retard. La course à travers les couloirs bondés, les regards curieux, le bourdonnement incessant de l'académie… tout cela l'avait ramené brutalement à la réalité.

Elle s'arrêta une seconde pour remettre de l'ordre dans sa chemise et effacer toute trace d'agitation. L'idée qu'on puisse deviner ce qu'ils avaient fait la veille lui donnait des sueurs froides.

Mais elle entra, impénétrable, comme si rien ne s'était passé.

De leur côté, Aïcha et Star finirent par rejoindre la classe moyenne. Leurs pas résonnaient dans le couloir presque vide.

-: "Tu as remarqué ?" murmura Aïcha. "Les surveillants ont doublé les rondes. On dirait que tout le monde sent que quelque chose s'est passé cette nuit."

Star acquiesça, le regard fixé sur le sol. "Oui… et si Eleanor a parlé, on est fichues."

Elles entrèrent dans la salle, accueillies par Mme Ronove une femme élégante à l'allure sévère, mais au ton étonnamment doux ce matin-là.

-: "Ah, mes deux étoiles en retard," lança-t-elle avec un sourire ironique. "Prenez place. Je suppose que vous avez de bonnes raisons d'avoir l'air si... décomposées."

Aïcha esquissa un rire nerveux. -:"Manque de sommeil, madame."

-:"Manque d'organisation, plutôt." Corrigea Ronove, amusée. "Mais pour aujourd'hui, je fermerai les yeux. Vous aurez besoin de toutes vos forces, le conseil d'évaluation approche."

Star s'assit, son regard dérivant un instant vers la fenêtre. Au loin, les tours de l'administration projetaient leurs ombres sur la cour. Là-bas, quelque part derrière ces murs, Eleanor devait déjà rédiger son rapport, peut-être même prononcer leurs noms.

Mais pour l'instant, elle préféra fermer les yeux quelques secondes, respirer. Le jour se levait sur une nouvelle tension, un calme trompeur avant la prochaine tempête.

Et dans ce bref instant de répit, ils avaient encore le luxe de croire qu'ils pouvaient se fondre dans la foule qu'ils étaient simplement des étudiants parmi tant d'autres.

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