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Chapter 3 - chapitre 3 : le poids du souffle

L’heure avait passé plus vite qu’il ne l’aurait cru.

Le ciel était désormais teinté d’orange, et les premiers rayons du soleil commençaient à illuminer les toits noirs du domaine Yu. Nuit se tenait debout dans la cour, droit comme une lame. Il n’avait pas bougé depuis le départ de Yu Zhu. Chaque minute d’attente était une façon de se préparer, mentalement, à l’inconnu.

Soudain, une silhouette entra dans la cour. Ce n’était pas Yu Zhu, mais un homme plus âgé, la peau tannée par le soleil, la silhouette sèche, musclée comme une corde tendue. Il portait une tunique de lin grise, simple mais parfaitement propre, et ses yeux brillaient d’un éclat dur.

— « Tu es le nouveau ? » demanda-t-il sans préambule.

— « Oui. Nuit. »

— « Ton nom ne m’intéresse pas. Je suis Maître Heng, et je suis chargé de faire de toi quelque chose de présentable… si tu survis. »

Nuit ne répondit pas. Il inclina la tête.

Maître Heng fit un signe de la main.

— « Suis-moi. »

Ils traversèrent le domaine, empruntant des chemins de pierre à travers les jardins de sable blanc et de bambous. Le silence régnait dans ce secteur du domaine. Seuls les bruits réguliers des pas de Nuit brisaient l’harmonie ambiante.

Ils arrivèrent enfin devant un petit bâtiment circulaire en pierre. À l’intérieur, la lumière filtrée révélait une salle vide, à l’exception d’un grand cercle gravé au sol, empli de runes anciennes.

— « Assieds-toi au centre. »

Nuit obéit, croisant les jambes au cœur du cercle.

— « Aujourd’hui, tu apprendras la première étape de tout cultivateur : respirer. »

Il y eut un silence. Nuit leva les yeux, incertain.

— « Respirer ? »

— « Oui. Mais pas comme un mortel. Tu apprendras à puiser l’énergie du monde. Le Qi. À l’absorber, à le guider. Tu apprendras ce qu’est le souffle intérieur. La respiration du Ciel et de la Terre. »

Maître Heng s’approcha lentement, puis s’assit lui aussi, hors du cercle.

— « Ferme les yeux. Ressens. »

Nuit ferma les paupières. Il inspira. Il ne sentit rien, sinon l’air frais.

— « C’est inutile, » dit-il au bout de quelques secondes. « Je ne sens rien. »

— « Bien sûr que non. Tu n’es rien. Le monde ne te parle pas encore. Tu n’as pas appris à l’écouter. »

Le vieil homme frappa le sol du plat de la main. Un choc léger fit vibrer la pierre sous Nuit.

— « Écoute la vie. Pas avec tes oreilles. Avec ta volonté. Le vent, la pierre, l’arbre… tout a une résonance. Ton esprit doit s’ouvrir. »

Nuit se concentra. Il fit le vide, du mieux qu’il le pouvait. Il laissa passer ses pensées comme des nuages. L’image de sa mère lui traversa l’esprit. Le souvenir d’un repas partagé, d’un éclat de rire, d’un silence douloureux. Il respira plus lentement.

Et puis… quelque chose.

Un frisson. Une pulsation lointaine. Faible, comme le tambour d’un cœur géant battant sous la terre.

— « Je crois… que je sens quelque chose. »

Maître Heng sourit pour la première fois.

— « Alors, recommence. »

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Les jours passèrent.

L’entraînement de Nuit était strict, sans compassion. Lever avant l’aube. Méditation pendant des heures. Respiration du Qi. Étude des flux d’énergie. Lecture de rouleaux anciens. Épreuves physiques. Concentration mentale. Équilibre. Silence.

Chaque soir, il rentrait dans sa petite chambre les jambes tremblantes, le corps couvert de sueur, les doigts engourdis. Mais chaque matin, il se levait.

Il commença à sentir le Qi circuler faiblement en lui. D’abord comme un courant glacé, puis comme une chaleur lente, épaisse, qui emplissait son ventre et montait le long de sa colonne.

Un soir, après un entraînement éreintant dans la cour intérieure, Maître Heng s’approcha de lui.

— « Tu progresses. Le Qi t’a accepté. Mais cela ne veut pas dire que tu es un cultivateur. Pas encore. Tu es à peine au seuil. »

Nuit s’essuya le front.

— « Que dois-je faire ensuite ? »

— « Tu dois ouvrir ton Dantian. »

Ce mot, il l’avait lu dans les rouleaux. Le centre spirituel, situé sous le nombril, réceptacle du Qi, graine de toute cultivation.

— « Et comment fait-on cela ? »

Heng sourit.

— « Avec douleur. »

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Le lendemain, Nuit fut conduit dans une caverne aménagée sous le domaine.

Au centre, une vasque en pierre, remplie d’une eau étrange et irisée.

— « C’est l’Essence de Feu et de Brume. Elle brûle le corps, mais elle réveille les méridiens. Tu dois y entrer, et méditer jusqu’à ce que ton Dantian s’ouvre. Si tu échoues… ton Qi sera détruit, et tu ne pourras plus jamais cultiver. »

Nuit hocha lentement la tête.

Il retira sa tunique. Ses bras étaient couverts de bleus et de cicatrices fines. Il s’approcha de la vasque. L’eau dégageait une chaleur intense, presque surnaturelle.

Il entra.

La brûlure fut immédiate.

Ses nerfs hurlèrent. Chaque pore de sa peau sembla exploser.

Il voulut crier… mais il se força à rester silencieux.

Il ferma les yeux. Visualisa son centre. Le Dantian. Une sphère vide sous son nombril.

« Inspire… »

La douleur n’était plus une brûlure. C’était une lame.

« Expire… »

Un courant de Qi traversa ses veines, violent, indomptable. Il vit des éclairs sous ses paupières.

Le temps se perdit. Une heure ? Deux ? Plus ?

Soudain, il sentit quelque chose céder.

Un claquement intérieur, suivi d’un afflux brutal d’énergie.

Son cœur s’emballa.

Le Qi se précipita dans son Dantian. Il sentit la sphère se former, briller.

Une vague de lumière intérieure le traversa.

Puis… tout s’apaisa.

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Quand il ouvrit les yeux, il était allongé au bord de la vasque. Maître Heng le regardait, assis en tailleur.

— « Tu as survécu. Félicitations. Tu es maintenant un vrai disciple. Niveau de Base — Premier Stade. »

Nuit inspira profondément.

Il n’avait jamais ressenti une telle clarté.

Ses sens étaient plus aiguisés. Son souffle plus profond. Il percevait les mouvements de l’air. La pulsation de la pierre. Il vivait, plus intensément.

— « Merci, Maître. »

Maître Heng hocha la tête.

— « Le vrai entraînement commence maintenant. »

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La semaine suivante, Yu Zhu vint le voir pour la première fois depuis son intégration.

Elle entra dans la cour sans prévenir, le visage neutre, et observa Nuit exécuter une série de mouvements respiratoires en posture du Tigre de Fer.

— « Tu progresses. Maître Heng dit que tu es prometteur. »

Nuit se releva, essoufflé.

— « Je fais de mon mieux. »

— « Tu vas passer à l’Épreuve du Vent. Demain. »

Il haussa les sourcils.

— « Déjà ? »

— « Le chemin vers la vraie cultivation n’attend pas. Tu as ouvert ton Dantian. Il faut maintenant tester ta capacité à le défendre. »

— « Contre qui ? »

Elle sourit légèrement.

— « Contre le monde. »

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