La lumière du matin filtrait à travers les hautes fenêtres de la salle d’entraînement de l’Académie de l’Équilibre. Kael, encore marqué par son voyage dans l’Entre-Lignes, sentait en lui une énergie nouvelle — plus dense, plus sombre, et pourtant étrangement familière. Azek-Ra, le Roi Démon, fusionné en lui, n’était plus un poids, mais une force latente prête à éclater.
Pourtant, une tension pesait sur ses épaules. Le Faux Auteur avait laissé derrière lui des traces, des cicatrices invisibles dans le tissu même de la réalité. Kael sentait que chaque pas qu’il ferait désormais pourrait faire vaciller l’équilibre fragile entre les mondes. Chaque souffle portait le murmure des pages tournées, chaque mouvement était observé par l’Auteur lui-même.
Ce jour-là, la Directrice de l’Académie convoqua Kael dans son bureau. Une pièce vaste, ornée de fresques anciennes représentant les fondateurs de l’Équilibre. « Kael, » dit-elle d’une voix grave, « ton pouvoir grandit, mais tu dois apprendre à le maîtriser, à le contenir. Le monde commence à te regarder, et certains dans l’ombre s’agitent. »
Kael acquiesça, conscient que ses exploits lors du tournoi avaient fait de lui un symbole — une lumière, mais aussi une cible. Sa romance avec Asha et Mira s’épanouissait doucement, apportant à son cœur des moments de répit dans cette tempête d’incertitudes.
Bientôt, une nouvelle mission lui fut confiée : un déplacement au cœur des Terres Oubliées, un territoire où la magie sauvage pulsait encore, peuplé de créatures anciennes que même les légendes craignaient d’évoquer. Accompagné de ses fidèles alliées, il devait récupérer un artefact légendaire capable de stabiliser le flux de l’Éther perturbé par les réécritures.
Alors que Kael s’apprêtait à partir, une ombre glissa furtivement dans les couloirs de l’Académie, un sourire cruel flottant dans l’obscurité. Le Faux Auteur n’avait pas dit son dernier mot.
Le vent nocturne soufflait avec une douceur trompeuse, caressant les cimes des arbres centenaires qui bordaient le lac d’encre noire où Kael et son groupe avaient décidé de camper. La surface de l’eau semblait absorber toute lumière, reflétant à peine le ciel étoilé d’Elaria. Pourtant, dans cette obscurité profonde, une énergie familière frémissait, presque imperceptible mais intensément présente — une magie ancienne, à la fois séduisante et dangereuse.
Kael s’était éveillé bien avant l’aube. Son esprit était en ébullition, tourmenté par les murmures qui avaient commencé à envahir ses rêves depuis plusieurs jours. Ces murmures n’étaient pas simplement des sons, mais des bribes de lignes narratives, des fragments de phrases qu’il percevait comme des fils invisibles reliant chaque parcelle de son existence, de son passé et de son avenir.
Il se redressa doucement, ne voulant pas réveiller Asha qui dormait profondément près du feu, ses yeux de braise fermés en paix, ni Mira, dont le souffle léger se mêlait à la mélodie du vent. Il posa ses doigts sur la surface glacée de l’eau et ferma les yeux. L’essence du Roi Démon, enfouie au plus profond de lui, s’éveillait avec une intensité nouvelle, vibrante, réclamant d’être utilisée.
Mais ce n’était pas seulement la puissance brute qui le préoccupait. C’était la présence insidieuse du Faux Auteur, cette entité intangible qui avait défié toutes ses connaissances sur la réalité. Depuis leur dernier affrontement, Kael sentait son influence s’étendre, tissant lentement une toile invisible sur le monde et les récits qui le composaient. Le Faux Auteur n’était pas un simple adversaire physique : c’était un manipulateur des récits, un architecte des destinées.
Kael ouvrit les yeux, scrutant la nuit comme s’il pouvait percer à travers les ténèbres pour voir l’ombre qui le suivait. « Il joue avec moi... » murmura-t-il, le visage durci par la détermination.
Autour du feu, les flammes dansaient, projetant des ombres mouvantes sur les visages endormis de ses compagnes. Asha était une guerrière du feu, capable de modeler les flammes comme une artiste façonne son œuvre. Mira, princesse du royaume flottant de Syleen, maîtrisait les vents avec la grâce d’un souffle céleste. Toutes deux étaient liées à Kael non seulement par le combat, mais par un lien plus fragile, plus profond, qu’il n’avait encore jamais osé explorer pleinement.
Il posa une main sur son cœur, sentant la pulsation du pouvoir qui battait là, fruit de la fusion avec le Roi Démon. Cette force obscure avait changé Kael, l’avait rendu plus fort, mais aussi plus vulnérable aux distorsions du récit. Chaque fois qu’il avait tenté de manipuler la trame narrative, des conséquences imprévues s’étaient manifestées : des déchirures dans le tissu même du monde, des êtres disparaissant ou apparaissant sans raison, des lignes temporelles se croisant dangereusement.
« Si je perds le contrôle, je détruirai tout ce que j’aime... » pensa Kael, serrant les poings.
Soudain, le vent se leva d’un coup, porteur d’un murmure plus clair, plus proche. Les mots s’entrelaçaient comme une incantation : « Le Faux Auteur... le maître des récits... le tisseur des illusions... » Puis une voix, à la fois proche et lointaine, résonna dans son esprit.
« Kael... tu ignores encore les règles du jeu. Je ne suis pas ton ennemi, mais ton égal. Sans moi, le récit serait figé, mort. »
Kael ouvrit les yeux, son regard s’embrasant d’une lueur nouvelle. « Si tu es égal à moi, alors montre-toi. Arrête de manipuler l’ombre. Combat moi dans la lumière. »
Le silence lui répondit. Puis un éclat lumineux fendit le ciel, et une silhouette encapuchonnée apparut sur la colline voisine. Ses yeux brillaient d’une intensité surnaturelle, parcourant Kael d’un regard pénétrant.
« Très bien, Kael. Le jeu commence. Prépare-toi à perdre ce que tu crois être ton contrôle. »
Kael rassembla ses forces, sentant la puissance du Roi Démon grandir en lui. De grandes ailes noires, tissées d’ombre et de flammes abyssales, jaillirent de son dos, étendant leur envergure immense dans la nuit. Le pouvoir de l’Éther et du Néant battait dans ses veines, prêt à déchirer le voile entre les mondes.
Mais cette bataille ne serait pas qu’un affrontement de force. C’était un combat de volontés, d’esprits, de mots et d’histoires. Car le véritable terrain de jeu était le récit lui-même — celui que Kael avait tenté de façonner et que le Faux Auteur cherchait à détruire ou réécrire à sa guise.
Le destin d’Elaria, mais aussi celui des multiples réalités, reposait désormais sur cette confrontation. Kael serra les dents, sentant une résolution brûlante éclore en lui.
« Je ne laisserai pas mon histoire être dictée par un étranger. »
Alors que les étoiles semblaient retenir leur souffle, les deux forces s’élancèrent dans la nuit, et la grande bataille pour le contrôle du récit commença.