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Chapter 118 - Chapitre 118 – Lines in the Ash

La nuit s'était posée sur les plaines allemandes comme une couverture de cendre. Le vent balayait les herbes sèches, transportant avec lui une odeur de fumée et de métal brûlé. Depuis leur position, Sofiane observait à travers les jumelles l'étendue sombre où s'étaient installés les hommes d'Ayoub. Au loin, on distinguait les lueurs des feux de camp, des silhouettes qui bougeaient, disciplinées, organisées. Ce n'était plus un simple groupe de survivants. C'était une armée.

Julien, allongé à côté de lui dans la boue, murmura :

— Ils ont installé des barricades... regarde, là, et là-bas. On dirait qu'ils creusent des tranchées.

Sofiane hocha lentement la tête.

— Oui. Ils se préparent à un siège. Ayoub n'est pas venu négocier. Il veut tout raser.

Mouna, derrière eux, surveillait la forêt. Son visage paraissait plus dur que jamais, éclairé par la lueur froide d'une lampe torche filtrée.

— Et nous ? demanda-t-elle. On ne peut pas juste rester là à les regarder.

— Non, répondit Sofiane. Mais on ne fonce pas tête baissée non plus. On doit savoir combien ils sont.

Le silence reprit, seulement troublé par le bruissement des feuilles mortes. Dans le lointain, un corbeau croassa. Le son fit tressaillir Mouna.

Julien soupira.

— Tu te rends compte, Sofiane ? Si on échoue ici, tout ce qu'on a traversé… l'Allemagne, la frontière, Rotterdam, ton fils… tout ça n'aura servi à rien.

Sofiane ne répondit pas tout de suite. Ses doigts serraient les jumelles, les articulations blanchies. Il suivait du regard un camion qui venait de s'arrêter près du camp d'Ayoub. Des caisses en descendaient. Armes, probablement.

Finalement, il murmura :

— Ce n'est pas une question de servir à quelque chose. C'est juste… ce qu'il faut faire.

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Quand ils revinrent au refuge, la tension dans l'air était presque palpable.

Zahira les attendait près du feu, le visage fatigué, les yeux cernés mais alertes. Cynthia tenait Younes endormi contre elle, enveloppé dans une couverture usée.

En voyant Sofiane entrer, elle leva la tête, inquiète.

— Alors ?

Sofiane retira ses gants, trempés de rosée et de boue.

— Ils sont plus nombreux que prévu. Une cinquantaine, peut-être plus. Des armes lourdes, des camions, des hommes bien entraînés.

Julien ajouta :

— Et Ayoub est là. On l'a vu. Il commande tout.

Un murmure parcourut les quelques survivants présents dans la pièce. Cynthia serra Younes un peu plus fort, son visage se durcissant.

— Alors il ne s'arrêtera pas avant de nous trouver.

Mouna se rapprocha de la table où une vieille carte était étalée.

— Il faut qu'on renforce les accès nord et est. Les tranchées, les barricades, tout. Si on tient deux jours, peut-être qu'ils reculeront.

Julien eut un rire amer.

— Ou qu'ils nous écrasent.

— On n'a pas le choix, répondit Sofiane, calme mais ferme. On ne fuit plus.

Il s'assit lentement, ses yeux se posant sur Cynthia. Elle le regardait, sans un mot. Entre eux, il y avait quelque chose d'indicible — ni tendresse, ni rancune, mais une reconnaissance silencieuse. Ils savaient tous les deux ce que l'autre avait perdu.

— Cynthia, dit-il doucement, je veux que toi et Younes restiez dans la partie inférieure du refuge. Si ça tourne mal, Mouna vous sortira par le tunnel.

— Et toi ?

— Moi… je reste ici.

Elle ouvrit la bouche, voulut protester, puis se ravisa. Au fond, elle savait qu'aucun mot ne le ferait changer d'avis. Elle se leva, approcha de lui, posa une main sur son bras.

— Tu n'as pas le droit de mourir une deuxième fois, Sofiane.

Il sourit faiblement.

— Alors il faudra qu'ils essaient fort.

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Les heures qui suivirent furent un chaos silencieux d'activité. Des planches clouées, des sacs de sable empilés, des armes graissées à la hâte. Julien organisa les tireurs sur les toits effondrés, pendant que Mouna préparait les pièges autour du périmètre. Zahira, malgré ses blessures encore récentes, s'occupait de rationner les vivres.

Chaque geste, chaque regard, portait la gravité d'un dernier jour.

Vers l'aube, Sofiane monta sur la terrasse du vieux bâtiment principal. Le ciel commençait à s'éclaircir d'un gris terne, presque métallique. Il sentit l'air froid lui mordre les joues, et inspira longuement.

Dans le lointain, à travers la brume, on apercevait à nouveau les feux du camp d'Ayoub.

Ils s'étaient rapprochés.

Cynthia le rejoignit quelques minutes plus tard.

— Younes dort encore, dit-elle. Il a demandé si tu reviendrais vite.

Sofiane détourna le regard vers l'horizon.

— Dis-lui que je reviendrai toujours.

Elle le regarda un moment, puis murmura :

— Tu crois vraiment que c'est encore possible de vivre, après tout ça ?

— Je ne sais pas, répondit-il. Mais si on survit à cette nuit, peut-être qu'on aura le droit d'y croire à nouveau.

Un grondement sourd monta de la plaine. D'abord lointain, puis plus net.

Des moteurs.

Des voix.

Des pas.

Sofiane sentit son cœur se contracter. Il attrapa la radio.

— Positions en place. Qu'on tienne les lignes. Pas un tir avant mon signal.

Julien répondit, haletant :

— Reçu. On les voit. Ils avancent.

Le vent souleva un nuage de poussière, les herbes frémirent. Puis, dans la lueur blafarde du matin, les premiers soldats d'Ayoub émergèrent du brouillard. Leurs visages étaient couverts de masques, leurs pas synchronisés.

Ils marchaient lentement, sûrs d'eux.

Sofiane abaissa la radio, observa leurs silhouettes noires.

— Alors, murmura-t-il, c'est ici que tout se joue.

Un dernier regard vers le refuge derrière lui.

Cynthia, Mouna, Zahira, Julien, Younes.

Tout ce qui lui restait.

Il inspira profondément, serra son arme.

Puis, d'une voix calme :

— Feu.

Et le monde éclata.

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