Quand Min Yoongi revint dans la ville, ce ne fut pas comme un enfant perdu.
Ce fut comme une ombre.
Personne ne reconnut le garçon maigre qu'ils avaient laissé pour mort. Ses épaules s'étaient élargies, ses gestes étaient devenus précis, et ses yeux… ses yeux ne cherchaient plus d'aide. Ils cherchaient des failles.
Il ne retourna pas vers les gangs.
Il les observa.
Des semaines durant, il se fondit dans les ruelles, les toits, les bars mal éclairés. Il apprit les horaires des chefs, leurs déplacements, leurs habitudes, leurs peurs. Il identifia les traîtres, les bavards, les imprudents. Il reconstitua des empires entiers à partir de murmures.
Il ne voulait plus être un soldat.
Il voulait être celui qui décide.
Son premier vrai contrat ne venait pas d'un gang.
Il venait d'un homme riche.
Un intouchable.
Un homme entouré de gardes, de lois, d'avocats, de politiciens. Un homme qui faisait disparaître ses ennemis derrière des signatures, pas derrière des balles.
Ils se rencontrèrent dans une voiture aux vitres fumées.
— « Tu es jeune, » dit l'homme. « Mais on dit que tu es efficace. »
Yoongi ne répondit pas.
— « Il me faut un fantôme. Et toi, tu n'existes presque plus. »
Un dossier fut posé entre eux. Photos. Adresses. Habitudes.
— « Tu réussis, tu manges. Tu échoues, tu disparaîs. »
Il referma le dossier.
— « Je réussis. »
La nuit de la mission, la pluie tombait si fort qu'elle effaçait les frontières entre le ciel et la ville.
La villa était perchée sur une colline, éclairée comme un palais. Quatre gardes à l'entrée. Deux à l'arrière. Caméras en hauteur.
Il passa par le toit.
Le premier garde tomba sans bruit. Le deuxième n'eut même pas le temps de comprendre. Le troisième tenta de dégainer. Trop lent.
À l'intérieur, tout était calme.
Trop calme.
Il avança dans les couloirs tapissés de tableaux trop chers, de tapis trop épais, de vies trop protégées. La cible se trouvait au fond, dans un bureau éclairé par une lampe douce.
L'homme priait.
— « Tu peux encore choisir, » trembla-t-il en le voyant. « Je peux payer. Beaucoup. »
Yoongi resta immobile.
Il pensa à la ruelle.
À la cicatrice.
À l'abandon.
Un coup.
Un seul.
Le corps s'effondra presque proprement.
Quand il ressortit, ses vêtements étaient secs. Son visage, vide.
Il n'avait rien ressenti.
Ni peur.
Ni dégoût.
Ni victoire.
L'argent arriva le lendemain.
Dans un sac posé devant une porte.
Il mangea chaud pour la première fois depuis des années.
Et il recommença.
Les contrats s'enchaînèrent.
Des hommes corrompus.
Des chefs intouchables.
Des monstres protégés par leurs réseaux.
Il ne frappait jamais au hasard.
Toujours là où la loi ne passait plus.
Les quartiers commencèrent à murmurer.
— « Il y a quelqu'un qui nettoie. »
— « Un fantôme. »
— « Personne ne voit son visage. »
Les gangs tentèrent d'acheter son silence. Puis son obéissance. Puis sa mort.
Ils échouèrent.
Un soir, dans un hangar désert, plusieurs chefs se réunirent.
L'un d'eux ricana.
— « Ce Mulshigan… ce n'est qu'un gamin avec un pistolet. »
La lumière s'éteignit.
Quand elle revint, l'homme était à genoux, en sueur, l'arme sur le front.
Yoongi se tenait devant lui.
— « Tu as oublié la première règle. »
— « La… laquelle ? »
— « On ne rit jamais d'un fantôme. »
Le tir claqua.
Ce soir-là, cinq territoires changèrent de mains.
Ce soir-là, le mythe naquit officiellement.
On ne parlait plus d'un tueur.
On parlait d'un chef invisible.
D'un roi sans trône.
D'un nom qui faisait baisser les regards :
Mulshigan.
Des années plus tard, dans la cuisine du dortoir, l'odeur du café flottait.
Yoongi était assis à la table, capuche basse, un mug entre les mains.
— « Tu fixes ton café comme s'il allait t'attaquer, » se moqua Jin.
— « Il a l'air en guerre intérieure permanente, » ajouta J-Hope.
Jungkook s'installa à côté de lui.
— « Hyung, tu penses à quoi ? »
Yoongi cligna des yeux.
— « À rien. »
Mensonge doux.
V le regardait en silence.
Toujours ce regard qui voyait trop.
— « Tu fais peur quand tu réfléchis comme ça, » glissa-t-il.
Yoongi haussa un sourcil.
— « BOUH. »
Jungkook éclata de rire.
— « Arrêtez de dire qu'il fait peur, vous allez lui donner un ego de méchant principal. »
— RM soupira en souriant : « S'il est le méchant, alors nous sommes les héros les plus mal organisés. »
Ils rirent tous.
Personne ne savait que dans ce corps fatigué buvant du café…
Un royaume de sang avait été bâti.
Ce soir-là, seul dans sa chambre, Yoongi rejoua mentalement son premier meurtre.
Pas avec fierté.
Avec lucidité.
Il savait désormais ce que ce tir avait créé.
Un roi.
Un monstre.
Un protecteur.
Et quelque part, dans le silence de ses nuits, une autre question revenait sans cesse :
Combien de temps encore pourra-t-il protéger deux royaumes à la fois… sans que l'un détruise l'autre ?
