Comment fait-il pour toutes et tous les attirer à lui ? Un léger sourire aux lèvres, Saïna a observé l'Ange parler à chacun tout au long de leur chemin dans le camp. Ils sont restés à l'infirmerie plus que de raison pour qu'il aide les médecins à déplacer les blessés jusqu'aux carrioles. Ils ont aidé trois guerriers ayant trop veillé à finir de remballer leur paquetage et rouler leur tente. Ils ont chargé des carrioles, équipé des chevaux.
Et pas une seule fois il n'a cessé de sourire et d'accepter les demandes des uns et des autres.
Alors maintenant qu'ils ont fini la distribution des repas et retournent vers les cuisines, elle peut lui demander.
« L'Ange ?
— … »
Ses yeux ont à peine croisé ceux de Saïna qu'il a rougi.
« Pourquoi est-ce que tu aides tout le monde ?
— Oh… »
Il ferme les yeux, serre les mâchoires un instant et elle voit à quel point il se tend à l'idée de lui répondre.
« Tu n'es pas…
— Non ! » Elle recule, surprise, et il soupire. « Non… C'est bête de laisser mes sentiments m'empêcher de te parler alors que je souhaite te rencontrer depuis un an. »
Ses sentiments ? Elle écarquille les yeux et il rougit d'autant plus.
« Non, pas de ce genre-là ! » Un vertige passe dans le regard azuré de l'Ange. « C'est juste que… » Il s'arrête, se tourne vers elle et plante son regard dans les yeux de Saïna. « C'est juste que, Saïna, tu n'existais pas il y a à peine plus d'un an. Enfin, si, mais tu n'étais rien ni personne, et tu as surgi dans l'académie aux Trois flammes pour la conquérir elle, puis Catarphone, puis l'Incendie tout entier. »
Elle recule, surprise par cette soudaine honnêteté.
« Je suis un Cent-nom moi aussi, comme presque tous ceux qui sont autour de nous. J'ai eu un peu plus de chance que les autres et j'ai été choisi très jeune par Svan pour être son garde du corps, mais en dehors de ça, je ne suis rien. » Il parle vite, probablement pour ne pas se rendre compte de ce qu'il est en train de dire, mais son regard ne quitte jamais celui de Saïna. Pas une seule seconde. « Nous ne sommes rien et toi, qui est censée n'être rien non plus, non seulement tu remportes la Coupe aux Trois-flammes, non seulement tu récupères la bienveillance d'Edora de Calastille et de la Griffe de Catarphone, mais en plus tu parviens à briser les chaînes de Regia de Lorl. »
Qu'est-ce que…
« Et, tu sais, je connais Regia depuis longtemps, très longtemps. J'étais là le jour où elle a été présentée à la noblesse… Rien de ce qu'il s'est passé tout à l'heure au commandement n'aurait été permis par la Regia de Lorl que je connaissais. » Il soupire de nouveau, passe une main sur ses tempes pour en enlever la sueur naissante. « Et je crois que comme moi, comme elle, beaucoup de gens ont tout fait pour rejoindre cette expédition et t'exprimer leur gratitude. »
Alors elle recule, les sourcils légèrement froncés et le regard troublé.
Tu ne savais pas, n'est-ce pas ? Tu n'avais pas compris que Regia venait pour toi. Que des sang-dragons soient là pour soutenir l'une des leurs ne t'avait même pas effleuré… Et les Cent-noms ? Comment peuvent-ils voir quoi que ce soit en toi ? Tu n'es qu'une chasseuse qui a fui sa patrie parce qu'elle entend des voix.
Tu recules d'un pas de plus et l'Ange avance vers toi.
« Je… »
Tu veux parler, mais pour dire quoi ? C'est trop d'information pour une seule toi. Et, comme s'il entendait tes pensées, il parle.
« Allons-y, Saïna, Svan risque bien de me tuer si nous sommes plus en retard. »
Oui. Oui, c'est bien ça. Pourquoi parler ? Pourquoi ne pas simplement retrouver l'autre abruti et faire comme si de rien n'était ? Oui. Saïna peut faire ça. C'est même une très bonne idée.
Elle renifle, hoche la tête avec vigueur et ils se remettent en marche, lui léger comme jamais depuis le matin même et Saïna… perdue. Il va falloir qu'elle parle à Regia, à un moment, qu'importe. Elle ne veut pas que son amie risque sa vie pour elle. Elle ne veut pas que qui que ce soit risque quoi que ce soit pour elle.
Elle trouvera un moyen de la convaincre de partir, ou de convaincre Edora de l'envoyer ailleurs à la première occasion. Alastor sera d'accord et… Elle s'arrête dès qu'elle pense à ses deux mentors : sont-ils là pour elle ou sur ordre du Roi ? Non. Non, ça n'est pas possible. Et s'ils étaient blessés, tous ces gens qui sont venus pour l'aider elle ?
Elle jette un regard à l'Ange, mais il marche quelques pas devant elle.
Il faut annuler, absolument tout annuler et s'assurer que tous ceux qui viennent n'ont jamais entendu parler d'elle. Elle attrape par réflexe le médaillon que lui ont envoyé ses parents après qu'elle a remporté le tournoi et observe le reste du camp autour d'elle.
Quelques restes de feux que l'on éteint, des hommes et des femmes se préparant pour les huit heures de marche à venir, des carrioles, des chevaux, l'armée de l'Incendie en route pour sauver Egara.
« Bah alors, la voleuse de gloire, ça va pas ? »
Elle se tourne, tombe nez à nez avec un immense cheval noir. Elle recule, lève les yeux et reconnaît immédiatement le cavalier. Elle aurait même pu le reconnaître au son de sa voix si elle n'avait pas été aussi perdue à l'instant où il l'a interpellée.
Brigandine et jambières de métal léger, Fer-blanc à la ceinture, la barbe mal rasée de trois ou quatre jours, les sourcils haussés, Hetros la toise tout sourire.
C'est vrai que lui aussi…