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Chapter 26 - Chapitre 26: L'instant présent et si c'était maintenant

La rue est presque vide. Les lampadaires grésillent doucement, projetant des halos jaunâtres sur les pavés humides. La nuit semble suspendue, presque irréelle. Le pas de Clara est rapide, décidé, mais elle ralentit à chaque gémissement étouffé de Thomas, qui boîte légèrement à ses côtés, le flanc encore poisseux de sang. Son souffle est court. Son t-shirt déchiré colle à sa peau.

Clara (inquiète, sans le regarder)

« T'es sûr que ça va ? »

Thomas (forçant un ton léger)

« Non. Mais si je m'écroule maintenant, je suis pas sûr de me relever. »

Elle lui jette un regard de biais, entre amusement, lassitude et tendresse. Sans un mot de plus, elle s'approche et glisse son bras sous le sien pour l'aider à marcher. Thomas se fige d'abord, surpris par la proximité.

Thomas (un peu trop vite)

« Je… je peux marcher tout seul, tu sais. »

Clara (sèchement, mais sans méchanceté)

« Je sais. Mais t'es pas tout seul. »

Un silence s'installe. Pas froid. Plutôt un de ces silences lourds de choses qu'on ne sait pas comment dire. Elle glisse la clé dans la serrure. Le cliquetis du mécanisme brisé résonne dans l'entrée. La porte grince. Une odeur familière les enveloppe aussitôt : vieux bois, lessive bon marché, souvenirs entassés.

Thomas avance avec précaution, comme s'il pénétrait dans un sanctuaire secret. L'appartement est petit, un peu en désordre, mais pas froid. Des livres en piles sur la table basse, une plante aux feuilles pendantes sur le rebord de la fenêtre, un tapis râpé au centre du salon. Une chaleur étrange s'en dégage.

Thomas (voix basse)

« C'est… chez toi. »

Clara (refermant la porte doucement)

« Tu pensais quoi ? Un bunker souterrain décoré en noir et rouge ? »

Thomas (timidement)

« Un peu, ouais… Avec des bougies, des crânes. Un dragon de compagnie. »

Clara (souriante)

« T'as pas totalement tort. »

Elle désigne une étagère branlante. Tout en haut, une figurine poussiéreuse de dragon trône, le regard de travers.

Clara

« Lui, c'est Maurice. Le gardien du salon. Il te juge déjà. »

Thomas rit doucement, puis grimace. Son rire se fane sous la douleur. Clara disparaît vers la salle de bain sans un mot. Il entend l'eau couler, les tiroirs fouillés, des objets déplacés en hâte. Quand elle revient, elle a les bras pleins : une trousse de secours, deux serviettes, un vieux tee-shirt.

Clara (désignant le t-shirt)

« Il est moche mais propre. Et il est à peu près à ta taille. »

Thomas baisse les yeux vers son haut en lambeaux, collé à sa peau par le sang séché. Il déglutit. Lentement, maladroitement, il tente de le retirer. Ses doigts tremblent. Clara détourne le regard, par pudeur ou respect, peut-être les deux.

Thomas (gêné)

« Tu peux… Je veux dire, tu peux regarder. Si tu veux. »

Elle se retourne lentement. Le silence devient plus dense. Thomas, torse nu, s'assoit sur le canapé, le dos tendu. La lumière tamisée souligne les contours de ses cicatrices anciennes et de la plaie récente. Clara s'agenouille à côté de lui. Son regard ne fuit pas.

Ses doigts effleurent la blessure. Il tressaille.

Thomas (chuchote)

« Tu trembles. »

Clara (murmure)

« Et toi, tu frissonnes. »

Elle commence à le soigner. Le coton s'imbibe lentement de rouge. Chaque pression lui arrache un souffle, mais il ne dit rien. Elle aussi se mord la lèvre, concentrée. Ses gestes sont délicats, presque tendres. La trousse de secours craque sous ses doigts nerveux.

Enfin, le bandage est noué. Elle serre doucement le nœud, puis reste là, un moment, ses mains contre sa peau encore chaude.

Clara (doucement)

« Voilà… C'est pas parfait, mais tu ne te videras plus comme un sac percé. »

Thomas (sourire fatigué)

« Sympa la comparaison… T'as pensé à une carrière dans les cartes de vœux ? »

Elle rit. Un vrai rire, court mais sincère. Elle s'assoit à côté de lui, un peu plus près que nécessaire. Le silence revient. Pas pesant, juste… dense. La lumière du soir filtre à travers les rideaux, dorant les murs, colorant leur peau d'un ton presque irréel.

Thomas (voix timide)

« Merci, Clara… pour tout. »

Clara

« T'as pas à me remercier. »

Thomas (plus bas)

« Si. J'ai cru que j'allais y passer. Et… y a eu ce moment où je me suis dit que j'allais jamais te revoir. »

Elle ne dit rien. Elle ne peut pas. Alors elle agit. Elle glisse lentement sa main sur son bras, puis pose sa tête contre son épaule. Il ferme les yeux. Un frisson. Son cœur cogne fort, trop fort. Il a peur qu'elle l'entende.

Elle tire une couverture sur ses jambes, puis laisse ses doigts s'égarer sous la manche de son tee-shirt. Juste un frôlement, presque irréel.

Clara (murmure)

« Je veux juste sentir que t'es vivant. »

Thomas (voix basse, hésitante)

« Je le suis. Grâce à toi. »

Un silence, encore. Puis il tourne lentement la tête. Leurs visages ne sont plus qu'à quelques centimètres. Le souffle de Clara chatouille ses lèvres. Il sent une chaleur naître dans sa gorge, irradier dans sa poitrine.

Thomas (à peine audible)

« Clara… je… »

Clara (le regard dans le sien)

« Chut… Pas besoin de mots. »

Elle lève une main. Sa paume se pose sur sa joue, douce, brûlante. Son pouce glisse le long de sa mâchoire, puis sur ses lèvres fendues. Il retient sa respiration. Il n'ose pas bouger.

Thomas (voix tremblante)

« Je suis pas… très doué pour… ce genre de choses. »

Clara (sourire tendre)

« Moi non plus. Mais on peut apprendre ensemble. »

Leurs fronts se touchent. Leurs souffles se mêlent. Le moment est fragile, suspendu. Thomas ferme à moitié les yeux. Il est prêt à se laisser tomber dans cette chose inconnue. À oublier la douleur, le sang, la fuite.

Et au moment exact où leurs lèvres s'apprêtent à se rencontrer…

CLANG ! CLANG ! CLANG !

Le carillon de l'horloge explose dans la pièce, d'un son clair et brutal. L'instant éclate comme une bulle de savon. Ils sursautent tous les deux.

Thomas (lâchant un rire nerveux)

« Sérieusement ? Une horloge ?! »

Clara (rougissante, se cachant le visage dans ses mains)

« C'est la maudite horloge de Mamie Germaine. Elle sonne tous les soirs à 21h. Même pendant la fin du monde. »

Thomas (riant encore)

« Je crois qu'elle vient de me sauver d'un arrêt cardiaque. »

Clara (entre ses doigts)

« Ou elle a juste décidé qu'on devait attendre un peu plus longtemps. »

Le silence revient, mais il est différent. Plus léger. Un lien s'est tissé entre eux, invisible, mais là. Présent. Immense. Et même si rien n'a été dit clairement, tout a été ressenti. Partagé.

Thomas se laisse aller contre le dossier du canapé, le souffle apaisé. Clara, elle, se penche pour attraper la trousse et la refermer. Ses gestes sont lents, tranquilles.

Thomas (murmure)

« Elle t'allait bien, ta carapace. Mais j'crois que je préfère te voir comme ça. »

Clara le regarde, une ombre dans les yeux. Pas une ombre noire. Une de celles qui disent je comprends. Elle incline légèrement la tête.

Clara (bas)

« Moi aussi, je te préfère comme ça. Blessé, mais là. »

Ils ne bougent plus. Ils n'ont plus besoin de parler. Il y a des nuits où les silences valent plus que cent discours. Où les souffles partagés deviennent promesse.

La vieille horloge a fini de sonner. Le tic-tac discret emplit la pièce. Maurice, le dragon, semble presque sourire du haut de son étagère.

Et dehors, dans la rue déserte, les lampadaires continuent de grésiller.

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