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Chapter 7 - Chapitre 07: Une dette à retardement

Dans les couloirs immenses de l'Académie Arcanique, il suffisait d'un regard pour distinguer la hiérarchie invisible qui régnait sur les élèves. Tout n'était pas inscrit dans les manuels, tout ne se trouvait pas dans les cours magistraux : la société de Célestian se reflétait jusque dans la coupe des uniformes, et chaque fil de tissu semblait porter un poids, celui de l'honneur ou de l'indifférence.

Le premier palier, celui que portait la grande majorité des étudiants, se reconnaissait à sa simplicité. Une chemise blanche parfaitement repassée, une cravate rouge aux motifs dorés qui trahissait l'appartenance à l'institution, et, selon le sexe, un gilet gris sans manches pour les garçons ou une jupe-boutonnée de la même teinte pour les filles.

Ces tenues ne brillaient pas par leur éclat, mais elles possédaient une certaine pureté, celle de l'entrée dans un monde plus vaste. On disait que cet uniforme incarnait "l'aube de l'apprentissage" : une promesse, mais aussi un rappel que rien n'était encore acquis.

Beaucoup des nouveaux arrivants s'y sentaient noyés, insignifiants, anonymes parmi des dizaines d'autres silhouettes blanches et grises.

Puis venait l'uniforme à veste. Là, la différence se faisait sentir immédiatement. La chemise blanche et la cravate restaient, mais une veste bleu foncé à liserés dorés venait s'ajouter, transformant l'élève ordinaire en représentant officiel.

Le tissu se faisait plus épais, les lignes plus strictes, comme si la tenue obligeait celui qui la portait à redresser la tête et à marcher avec plus d'assurance. Obtenir la veste n'était pas donné à tout le monde. C'était un signe : celui qui la portait avait franchi un seuil de résonance, prouvé sa valeur dans les arcanes ou accompli un exploit reconnu par l'Académie.

On les appelait souvent "les promus", et même si les couloirs ne séparaient pas physiquement les classes, chacun savait instinctivement à qui appartenait le droit de porter cette couleur plus noble.

Enfin, au sommet de la hiérarchie, il y avait l'Uniforme Célestial. Rare, presque sacré, il imposait le silence quand il apparaissait. Une cape bleu nuit doublée d'un rouge profond, comme le crépuscule d'un ciel infini, flottait dans le dos des élus. Les boutons et les broderies dorées, finement travaillés, semblaient absorber la lumière pour mieux la refléter.

Sur la cape, un symbole d'or trônait, représentant non seulement l'Académie, mais aussi la légitimité divine que la société de Célestian prêtait aux véritables prodiges. C'était l'apanage de ceux dont la résonance dépassait les bornes ordinaires huit cents et plus, un chiffre qui, à lui seul, suffisait à faire trembler les novices.

Ces élèves étaient considérés comme les "Célestiaux", les incarnations vivantes du potentiel que tout étudiant rêvait d'atteindre.

Lorsqu'un de ces uniformes passait dans la cour, les regards se baissaient, non par peur, mais par une forme de révérence muette. Les murmures disaient que porter la cape, c'était comme porter une médaille invisible, un sceau qui liait directement le destin de l'élève à l'histoire de l'Académie.

Ainsi, dans cet immense théâtre qu'était l'Arcanium, nul besoin d'interroger les notes ou les classements officiels : les vêtements seuls révélaient la place de chacun dans l'échelle impitoyable de Célestian. Et pour ceux qui rêvaient de gravir les marches, chaque couture, chaque couleur, chaque symbole était une promesse à conquérir.

[Académie Arcanique /Bâtiment-D, salle 9. 14h02]

L'instant semblait suspendu, comme une fragile bulle où Star découvrait peu à peu ce nouveau monde. Les murmures, les regards, la présence inattendue d'Aïcha à ses côtés : tout cela composait une mélodie confuse, à la fois lourde et fascinante. Mais cette accalmie ne dura pas.

Un brouhaha soudain éclata au fond de la salle. Les élèves se levèrent, se penchèrent, certains courant presque vers le mur nord, où un objet étrange attirait tous les regards : un miroir monumental, encastré dans la pierre, dont le cadre doré serpentait en arabesques lumineuses. Sa surface, d'abord lisse et sombre, scintillait désormais d'éclats mouvants.

-:" Regardez !" lança une voix, haletante d'excitation.

Les têtes se tournèrent, les pupitres grinçants sous la hâte. Les chuchotis gonflèrent en une rumeur frénétique.

Un garçon de haute taille fendit la foule. Sa prestance imposait, son uniforme parfaitement ajusté semblait taillé pour lui seul, et son sourire arrogant s'élargissait à mesure qu'il s'approchait du miroir. Il posa la main sur le cadre, comme pour s'approprier la scène, et s'exclama, les yeux agrandis par une surprise qu'il goûtait comme une victoire personnelle :

-:" Hors de question ! Mon reflet… il brille !"

Son image, de l'autre côté du miroir, n'était pas identique à lui-même. Sa silhouette y étincelait d'une lumière dorée, comme si l'artefact dévoilait quelque chose d'enfoui, une étincelle de puissance latente que le commun des mortels ignorait.

Il se retourna, cherchant l'approbation et l'admiration de ses camarades.

-:" Regardez ! Je crois que j'ai puisé dans mes pouvoirs latents !"

Un tonnerre de murmures parcourut l'assemblée. Certains applaudissaient timidement, d'autres se lançaient des regards envieux. Pour eux, le miroir n'était pas seulement un outil : il était une promesse. Une chance de révéler ce que chacun cachait au plus profond de lui-même.

Aïcha, restée assise, croisa les bras et leva les yeux au ciel. Un sourire amusé glissa sur ses lèvres, un ricanement léger échappant à sa gorge.

-:" Toujours les mêmes, hein… À croire qu'ils ont besoin d'un miroir pour exister."

Star, lui, n'avait pas bougé. Son expression n'était ni ébahie ni envieuse. Son visage affichait ce masque impénétrable, une indifférence presque provocante, comme s'il observait une pièce de théâtre sans intérêt. Pourtant, ses yeux, discrets et attentifs, s'étaient déjà détournés du miroir pour revenir vers Aïcha.

Sous la lueur tamisée des vitraux, il remarqua ce détail qu'il n'avait pas relevé plus tôt : un sabre, glissé contre la jambe d'Aïcha, dissimulé avec une nonchalance calculée. Ce n'était pas un simple accessoire. La présence de cette arme, ici, au cœur de l'Académie, où les règles interdisant le port d'armes étaient strictes, suffisait à soulever mille questions.

Mais Star n'en formula aucune.

Il resta silencieux un long moment, son regard fixé sur l'arme, avant de lever légèrement les yeux vers elle. Son froncement de sourcils, imperceptible mais clair, en disait long : il avait compris. Ce n'était pas la question de l'autorisation qui l'intriguait.

Ce qui importait désormais, c'était la certitude absolue qu'il ne devrait jamais se mettre à dos celle qui, en un instant, s'était montrée capable de briser une meute de harceleurs… et qui portait en plus la lame pour enfoncer le clou.

Aïcha capta son regard. Elle ne sembla ni gênée, ni sur la défensive. Au contraire, elle lui adressa un simple signe du pouce levé, l'air de dire : Pas d'inquiétude, je gère.

Un geste rassurant, presque complice.

Star détourna à peine les yeux, reprenant son masque froid. Mais en lui, une conclusion s'imposait : Aïcha n'était pas une simple alliée de circonstance. Elle était une anomalie, un paradoxe. Une force tranquille qui choisissait ses batailles. Et lui, malgré son instinct ou sa confiance, n'avait aucune envie de croiser cette lame dans un conflit.

Pendant ce temps, la foule continuait de se presser autour du miroir. Chacun, fébrile, attendait son tour, espérant voir son reflet s'auréoler de lumière. L'artefact, implacable, ne réagissait pourtant pas à tous : certains visages restaient ternes, simples reflets ordinaires. L'espoir se changeait alors en déception cuisante, alimentant jalousies et rires moqueurs.

Dans ce chaos d'éclats et de frustrations, Star demeurait immobile. Son esprit, ailleurs, réfléchissait déjà :

"et si ce miroir n'était pas qu'un jouet pour flatter l'ego des privilégiés ? Et si moi aussi, malgré le zéro gravé à mon existence, cachais quelque chose que seul ce genre d'épreuve pouvait révéler ?"

L'idée s'insinua, aussi inquiétante que fascinante.

Peu à peu, l'agitation qui régnait dans la salle de cours enfla comme une marée incontrôlable. Rires, exclamations, chuchotis avides se chevauchaient sans cohérence, chacun cherchant à exister au milieu de la clameur. Mais tout s'éteignit en une seconde, comme une flamme écrasée sous une main ferme, lorsque la porte s'ouvrit.

Une silhouette entra.

Mme Claude Ronove.

La professeur principale des Arcanes, réputée pour son exigence glaciale, se tenait là, droite, les traits fins mais sévères, drapée dans une longue cape à reflets métalliques. Ses yeux d'un gris perçant firent l'effet d'un couperet : à peine posés sur la salle, les bavardages se dissipèrent, chaque élève se figeant sous ce regard.

-:" De telles démonstrations de pouvoir… ,dit-elle d'une voix calme, mais dont la clarté glaçait plus qu'un cri, sont interdites dans les espaces communs."

Un silence total suivit, si dense qu'on aurait pu entendre le battement d'une aile de mouche. Même Thaddeus, toujours campé fièrement devant le miroir, déglutit, bien que son sourire persista, arrogant mais crispé.

Claude s'approcha du miroir. Ses pas claquaient doucement contre le sol de marbre, chaque écho résonnant comme une menace. Arrivée devant le cadre doré, elle se pencha, observa son propre reflet avec un œil critique.

Contrairement aux autres, son image ne flamboyait pas, mais une subtile onde se réverbéra à la surface, signe d'une maîtrise si profonde que l'artefact lui-même semblait se courber sous son autorité.

Elle redressa la tête, son regard fixé sur Thaddeus.

-:" Impressionnant, concéda-t-elle sans chaleur. Mais la maîtrise est essentielle. Nous en parlerons plus en détail lors des séances de formation."

Le garçon, malgré la reconnaissance implicite, baissa légèrement les yeux. Pour la première fois, l'assurance de son sourire se fissura.

Claude se retourna vers l'ensemble de la classe. Ses yeux balayèrent les rangs, chaque étudiant se raidissant lorsqu'il croisait son regard.

-:" Que cela vous rappelle que la voie de la maîtrise des arcanes est semée d'embûches et de périls. Un enthousiasme débridé peut avoir des conséquences désastreuses non seulement pour vous, mais pour tous ceux qui vous entourent."

Elle laissa ses paroles s'imprégner dans l'air, pesantes, et reprit avec plus de fermeté :

" Votre progression sera variable. Certains d'entre vous avanceront vite, d'autres plus lentement. Mais tous devront comprendre que le véritable danger ne vient pas du manque de pouvoir, mais de l'orgueil et de l'imprudence."

Un frisson parcourut la salle. Mais bientôt, ce silence respectueux fut troué par les regards et les murmures perfides. Car Claude, dans sa tirade, avait laissé son regard s'attarder sur deux élèves en particulier : Aïcha, l'éternelle indisciplinée qui cachait un sabre à ses côtés… et le nouveau, Star, assis à côté d'elle.

Un commentaire à double tranchant, qui offrait une cible rêvée à la malveillance de ses camarades.

Dans le dos de Star, des voix se firent entendre, étouffées mais pas assez pour qu'il n'en capte pas chaque syllabe.

-:" Variable… encore faudrait-il avoir quelque chose à faire varier" ricana l'un.

-:" Ouais, lui il part de zéro. Même les larves ont un point de départ plus élevé." ajouta un autre.

-:" Peut-être qu'il est là pour servir de balai. Après tout, faut bien nettoyer derrière nous."

Des rires s'éparpillèrent dans la salle, étouffés dans les mains, mesquins comme des couteaux plantés dans le dos. Même Thaddeus, qui avait repris un semblant de superbe, lança un regard narquois vers lui, un éclat triomphant dans les yeux : toi, tu n'existes pas.

Star, pourtant, ne broncha pas. Son visage demeurait figé dans cette indifférence glaciale, mais au fond de lui, une chaleur sourde grondait. Pas de honte mais une colère sèche, acérée, forgée par une vie entière de mépris avalé. Ces rires, il les connaissait trop bien. Ils ne le brisaient plus. Ils l'aiguisaient.

À côté de lui, Aïcha avait croisé les bras, un sourire froid sur les lèvres. Ses yeux suivaient ceux des moqueurs, une par une, comme pour mémoriser leurs visages. Elle ne dit rien, mais l'éclat dur dans son regard valait une promesse : qu'ils essaient de recommencer en dehors de ce cours, et ils le paieront.

Mme Ronove, elle, n'ajouta rien. Elle savait. Elle voyait. Mais son rôle n'était pas d'arrondir les angles : c'était de les forger.

L'air resta tendu, presque électrique, tandis que la leçon reprenait.

Et Star, au milieu de ces rires étouffés, serra le poing sous la table. Son zéro n'était pas une fin. C'était le départ d'une dette qu'il fera payer tôt ou tard.

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