Des quatre autres grands, Irelia n'a jamais apprécié qu'Igneel. Cela doit faire une bonne décennie que l'ancienne matriarche se demande pourquoi elles s'adorent. Elle est l'incarnation de l'eau, Igneel celle du feu. Elle a dépassé son humanité et Igneel sa dra… sa dragonicité ? Le mot n'existe pas, Irelia en est certaine. Mais il n'empêche qu'elle est là, à attendre depuis trois bonnes heures à la base d'un arbre bien trop grand pour la forêt dans laquelle il a poussé.
C'est que le chêne en question a son tronc épais comme une barque et la cime aussi haute que le mât d'un navire. Non, il est étrange cet arbre. Définitivement. Surtout en plein milieu d'une forêt de feuillus on ne peut plus normaux… On n'est pas au milieu des forêts titanesques de l'Empire, ici. Loin de là, même. On est seulement au nord de l'Incendie, où des arbres tout à fait normaux poussent de manière tout aussi normale pour n'atteindre qu'une taille nor…
Irelia s'interrompt soudain : l'ennui est déjà bien assez grand pour divaguer de la sorte. Enfin quand même… Sur quoi a-t-il bien pu pousser ? Elle soupire.
Un bruissement se fait soudain entendre dans les branches et prend la sorcière de court. Sa cible est donc réveillée. Enfin, cible… Le terme n'est pas le bon. Que dirait Igneel si elle l'entendait penser ainsi de la sang-dragon qu'elle lui a demandé de surveiller ? Irelia laisse son corps liquide tomber au sol sous la forme d'une flaque avant de s'éloigner vers un buisson.
Une corde est bientôt déroulée depuis les branches du chêne et une adolescente à peine plus vieille que son Kriost en descend. Elle est plutôt petite, la peau blanche sous la crasse et les égratignures, les cheveux noirs tenus en arrière. La gamine pose pied-à-terre et geint faiblement. Elle s'étire comme elle peut, masse rapidement ses jambes, palpe ses côtes, puis ses omoplates.
Une idée vient alors à Irelia, une idée simple, mais efficace, qu'elle a utilisé des milliers de fois sur son fils lorsqu'il refusait ses traitements. Elle se concentre un instant, va pour former quelques minuscules insectes d'eau, juste assez pour soulager la gamine. Elle n'y verra que du feu.
« Non, Undine. » La voix d'Igneel, simple écho dans l'esprit d'Irelia, l'interrompt. « Je me suis occupée de chasser l'ourse. Ne fais rien de plus que l'observer. »
L'ourse ? Pas étonnant que la petite soit dans un si sale état et ses vêtements bons à jeter. Irelia soupire néanmoins dans l'esprit d'Igneel. Soit. Elle se pliera à cette demande.
« Elle n'est plus en danger, Undine.
— Et c'est bien pour ça que j'accepte. »
Et Igneel, égale à elle-même, ne répond pas.
La gamine inspire de tout son être et s'étouffe sur une quinte de toux. Elle se contorsionne un instant et son regard change lorsqu'elle se redresse. Irelia est certaine d'y avoir vu de la fatigue et de la douleur jusque-là. Il n'en est plus rien. La gamine tient son menton haut et le regard fier.
Elle cache sa douleur sous un masque de fer pour une raison qui échappe totalement à Irelia. Elle est pourtant seule au milieu de la forêt. Enfin, bon, pas parfaitement seule, mais il est absolument impossible que la petite puisse sentir Irelia. C'est donc tout comme, et…
« Je sais que tu es là. »
Si elle avait été sous sa forme humaine, Irelia aurait écarquillé les yeux.
« Inutile de te cacher, je connais toutes les odeurs de ces bois. »
Quoi ? Comment peut-elle… Non. C'est tout bonnement impossible. Cela fait plus de vingt ans que personne ne peut la détecter en dehors de ses enfants. Et encore ! Même eux peinent parfois à…
« Je compte jusqu'à trois. Un… »
La gamine prend son arc.
« Deux… »
Elle encoche une flèche, Irelia sent le cristal de glace qui y est serti. Non. C'est impossible.
« Tro…
— Ne tire pas ! »
Irelia s'immobilise derechef lorsqu'elle entend la voix derrière elle. C'est un garçon, probablement un peu plus vieux que la fille. Il est dans un meilleur état qu'elle, mais il est beaucoup plus sale. Ces cheveux n'ont pas toujours été gris ni ses vêtements des guenilles, Irelia en mettrait sa main bouillir.
« Qui es-tu ? »
La question est simple, le ton glacial. Elle veut savoir et, comme elle se tient encore en position de tir, la réponse déterminera la suite des événements.
« Nito… Juste Nito. Et toi ?
— Saïna. C'est moi qui pose les questions. »
Irelia sourit à part elle et profite de leur discussion pour glisser le long d'un tronc et se dissimuler dans les arbres. Peut-être qu'elle se trompe, mais elle reste convaincue qu'une partie de la chasseuse l'a détectée… Et le temps n'a pas encore assez coulé pour qu'ils n'aient pas entendu parler d'Irelia à la Peau bleue.
« D'où viens-tu ? Je ne te reconnais pas.
— Je… Je viens de Sürist. »
Irelia hausse le sourcil, incrédule : il lui semble bien trop frêle pour avoir traversé l'Incendie et les montagnes qui bordent Egara. Il y a bien la dague à l'arrière de sa ceinture, mais elle n'a pas pu le guider jusqu'ici.
« Pourquoi es-tu venu ?
— Je ne pouvais plus rester… »
La voix de Nito s'éteint en même temps que sa phrase et son regard fuit la chasseuse. Il est arrivé quelque chose. Quelque chose de difficile, qu'il ne veut pas dire. Saïna replace alors la flèche dans son carquois sans pour autant lâcher son arc. Ses muscles se détendent à peine.
Un message est passé, Irelia en est certaine. La chasseuse soupire et se met en marche. Elle fait quelques pas et s'arrête, se tourne vers lui, ses fins sourcils levés d'expectatives.
« Eh bien ? Tu viens ?
— Hein ?
— Je ne sais pas ce que je vais bien pouvoir faire de toi. » Irelia sourit dans son arbre. « Mais je ne peux décemment pas te laisser là. Si mon père te trouve, ça va encore me retomb… »
Elle s'interrompt, fronce les sourcils.
« Quoi ?
— Non… Rien. J'arrive. »
Il lui sourit et boite vers elle. Elle n'a pas besoin de poser de questions.
« Je suis tombé en descendant des montagnes… »
Saïna soupire pour toute réponse et, d'un mouvement de tête, lui fait signe d'approcher. Irelia sourit tandis qu'elle voit la gamine prêter l'épaule à Nito. Ah que la jeunesse est belle dans son insouciance. Ils savent la guerre qui ravage le monde et pourtant… Pourtant ils se laissent aller à s'aider l'un l'autre.
Elle les suit, eux au sol et elle dans les arbres, laissant son corps liquide glisser d'une branche à l'autre. Il doit être dix heures du matin, peut-être onze, et sous ses yeux ébahis se fait une danse pour le moins inhabituelle : c'est Saïna qui mène, qui guide Nito et le questionne.
Comment a-t-il fait pour traverser l'Incendie ? En caravane, principalement. Grâce à l'argent qu'ont bien voulu lui donner ses parents. Il a la voix penaude, dérangée par les informations que Saïna lui demande… Et comment s'en est-il sorti ? N'a-t-il jamais rencontré de brigands ? De monstres ? D'Oubliés ?
Bien sûr qu'il en a rencontré, heureusement qu'il n'était pas seul. Il a appris à se battre sur les routes enfin… Appris…
À ces mots, Saïna explose de rire.
« Vingt crargentins que tu n'aurais aucune chance contre moi.
— Vu comment tu m'as senti approcher, je n'en doute pas. »
Ils se sourient, Irelia fond devant tant de tendresse. Leur progression continue, tranquille, et leur conversation finit par rassurer Irelia. Les sang-dragon disparaissent peut-être, mais la petite n'est pas en danger. Elle vit loin de tout et semble suffisamment forte pour venir à bout des dangers de sa vie. Elle grandira, ne quittera jamais son village natal, le regrettera peut-être un jour. Elle vivra longtemps, comme tous ceux que l'armée des dieux ne viendra pas attaquer. Igneel se fait du souci pour rien…
Soudain Nito hurle à s'en déchirer les poumons.
« Non ! »
Et le cœur d'Irelia manque un battement.
« Non, arrêtez ! »
Ils sont pourtant seuls.
« Non ! Laissez-moi ! »
Elle enroule son corps autour de l'arbre, voit le jeune accroupi. Il a les mains écrasées sur les oreilles, le regard vide et rivé sur ses pieds. Ses muscles s'agitent en tressauts irréguliers.
Que… Saïna avance vers lui, comme si de rien n'était. Elle pose une main sur son épaule sous le regard ébahi d'Irelia.
« Arrêtez… »
La voix a perdu en intensité. Quoi qu'il se passe, c'est en train de se finir. Et la gamine le sait. Quelques secondes de plus, durant lesquelles le souffle de Nito se rassérène. Oui, c'est fini. Il finit par inspirer profondément, puis souffle.
Saïna se redresse et lui tend la main.
« Tu entends des voix… »
Le regard de Nito se trouble.
« Co… Comment… »
Elle hésite un instant, puis sourit de tout son être. Elle rayonne dans le sous-bois, plus que Larfill dans le ciel.
« Moi aussi. »
Nito perd alors le peu de prestance qu'il lui restait et se relève tant bien que mal, béat devant cette déclaration. Il est sale, blessé et épuisé, mais son regard ne ment pas. Il la prend dans ses bras pour toute réponse.
Irelia n'est portée qu'un instant par la tendresse de leurs actions. Un simple instant avant que la question n'explose en son esprit : de quelles voix parlent-ils ? Rares sont ceux dont les voix ne sont pas qu'un tour de leur esprit. Ils doivent être dix dans le monde et son fils est l'un d'entre eux… Est-il vraiment possible que deux d'entre eux se rencontrent ainsi ? Non… Si ?
Les deux jeunes reprennent leurs marches et Irelia continue de les suivre. Plus par curiosité que pour Igneel.
Elle les a entendus la première fois vers ses cinq ans, lui à huit. Elle n'a pas su les cacher, lui non plus. Elles les terrifient dans les deux cas, Irelia le sent à leur manière de n'en parler qu'indirectement. Leurs proches aussi en ont peur…
« Ma mère n'a jamais voulu en parler et mon père… » Saïna s'interrompt un instant. « Je crois qu'il n'a accepté de m'enseigner la chasse que parce qu'elle m'éloignerait d'Egara… »
Sa voix tremble un instant.
« Ils… » Nito s'interrompt à son tour. « Ils ne supportaient pas et… j'ai dû partir. »
C'est Saïna qui le prend contre elle cette fois-ci. Elle passe une main dans les cheveux de Nito, lui murmure quelques mots qu'Irelia ne peut entendre.
Il sanglote, Saïna resserre un peu plus son étreinte. Ça ira. Il ne doit pas s'inquiéter, surtout pas. Elle parlera à ses parents.
« Ce ne sont pas les meilleurs, mais ils comprendront. T'inquiète. T'es plus seul Nito. »
Il s'écarte un instant et se scrutent l'un l'autre avant de s'embrasser brièvement, puis de nouveau. Ah… la jeunesse. Irelia détourne le regard jusqu'à ce qu'ils reprennent leur progression en silence. Ils n'ont plus besoin de parler.
Quelques minutes passent entre les arbres avant qu'ils atteignent un grand pré. Saïna les arrête alors. Elle observe l'étendue verte, lui fait signe de se taire. Tout son corps est en alerte, comme sur le point de rencontrer une menace. Cela faisait longtemps qu'Irelia n'avait plus vu une telle concentration.
La tension est presque palpable lorsque Saïna fronce les sourcils.
« Qu'est-ce qu'il y a ? »
Elle lève les yeux vers lui, surprise comme si elle l'avait oublié.
« Rien… Le pré est vide, on peut y aller.
— Le pré est vide ?
— Oui… Des filles de mon village viennent souvent ici. Elles ne m'aiment pas. » Ses sourcils se froncent à nouveau. « Elles n'aiment pas les gens comme nous. »
Il se tend à ces mots, elle reprend.
« Mais il n'y a personne, rassure-toi. On peut y aller.
— On… On ne pourrait pas le contourner ? »
Irelia se pose la même question.
« Moi, oui… Mais pas toi. Pas avec ta jambe. Il vaut mieux qu'on traverse.
— Tu es sûre ?
— Oui, fais-moi confiance. »
Il hésite un instant avant de se relâcher. Qu'ils y aillent.
Irelia, elle, décide de contourner. Ils ne doivent pas la voir. Elle pourrait évidemment se réduire à l'état de flaque, mais elle est persuadée que Saïna l'a sentie un peu plus tôt. Elle a la chasse en elle et, si le couvert des arbres et le bruit des insectes n'ont pu camoufler la présence d'Irelia, l'herbe rase et les coquelicots le pourront encore moins.
La sorcière leur laisse donc quelques mètres d'avance avant de laisser son corps tomber de la branche où elle se tenait. Elle le transforme alors en un essaim de petites lucioles liquides, sa forme la plus vive, et contourne le pré à toute vitesse.
Elle ne doit pas louper leur sortie, il y a trop de choses qui lui échappent encore et ça ne lui plaît pas. Ne pas savoir ne lui a jamais plu, surtout lorsque l'information semble concerner des voix.
Elle fuse donc à travers les bois, vole entre les arbres et leurs feuilles. Il faudra qu'elle remercie Igneel : cela fait des années qu'elle n'a pas été aussi simplement excitée à l'idée de découvrir quelque chose. Quoi ? Elle n'en sait rien, et là se trouve tout la simplicité de son excitation. Elle va découvrir et elle sait qu'elle sera surprise. Elle ne l'a plus vraiment été depuis une belle décennie.
Il ne lui faut pas cinq minutes pour arriver de l'autre côté du pré, moins que ce qu'elle pensait. Ils y sont forcément encore, c'est absolument parfait.
Elle laisse donc aux lucioles l'occasion de se masser de nouveau dans un buisson pour y prendre la forme d'une flaque, puis escalade le tronc d'un pin couvert de sève. Les jeunes la confondront avec le liquide ambre et elle pourra les voir venir.
Quelques minutes passent avant qu'une odeur épaisse ne lui parvienne. Une odeur âcre et lourde, une odeur de feu. Elle l'a à peine compris qu'un filet de fumée commence à s'élever dans le pré. Comment… ?
Son corps retombe au sol et elle glisse vers la source de la fumée… L'odeur grandit encore, imprègne toute l'atmosphère et… Elle retient un haut-le-cœur lorsqu'elle la voit. Lorsqu'elle les voit.
Quelques filles en arc de cercle, Nito à leurs côtés. Devant elles une poutre où est attachée Saïna, autour d'elle des bûches et du petit bois. Et tout cela brûle joyeusement
« Eh bah alors la bouseuse ? »
Irelia observe la blonde qui, accoudée à l'épaule de Nito, semble diriger la scène.
« Je suppose que tu n'avais jamais rencontré Forlk, mon cousin. »
Non…
« Il étudie le théâtre, à Sürist. »
Non. Ils ne peuvent pas… Ils n'en ont pas le droit.
Saïna dit quelque chose, mais les flammes absorbent ses mots.
« Comment ? Tu as cru qu'il était comme toi ? Ha ! »
Elle rit, les autres la suivent et Irelia sent la colère qui gronde en elle. Les flammes approchent de Saïna, la peau de ses jambes commence à cloquer tandis qu'elle s'étouffe en quintes de toux dans la fumée.
C'est hors de question. Elle ne la laissera pas mourir dans le feu. Pas une fille de l'Incendie. Pas une sang-dragon.
Son corps s'élève légèrement, elle va pour prendre sa forme originelle.
« Non Undine, n'en fait rien.
— Et pourquoi ? » L'esprit d'Irelia hurle. « Pourquoi devrais-je la laisser ?
— Car nous ne pouvons pas intervenir. Nous n'en avons pas le droit. Tu le sais aussi bien que moi. D'autant plus qu'elle n'est pas sous ton autorité. Elle est du feu. Elle est de moi.
— Et alors quoi ? Je dois la laisser mourir ?
— Ne me force pas à passer derrière toi, Undine. »
Irelia veut riposter, Igneel ne lui en laisse pas le temps.
« Ne me force pas à tuer l'une de mes sang-dragons… Imagine qu'elle soit l'un de tes enfants et moi à ta place… »
Alors les images se succèdent en l'esprit d'Irelia. Elle se voit arriver sur l'un des navires du clan, de nuit… Elle se voit pénétrer leurs cabines. Elle sait qu'elle le ferait. Elle ne pourrait faire autrement… Mais devoir tuer l'un de ses enfants parce qu'Igneel… Non. Elle ne veut pas finir cette pensée, ça la rendrait trop réelle.
Irelia se laisse alors retomber vers le sol. Soit.
« Merci.
— Non. »
Elle n'en dit pas plus et sent l'esprit d'Igneel s'éloigner d'elle. Pourquoi… Qui a fixé les lois ? Qui s'est permis de leur infliger la mort de leurs enfants ? Elle soupire, refuse de détourner le regard de Saïna. Elle aimerait pouvoir capter le sien, lui laisser savoir qu'elle n'est pas seule…
Le feu continue sa progression vers Saïna, qui hurle sans qu'on puisse l'entendre. Le brasier est trop bien fait, trop optimal pour ne pas couvrir sa voix. À croire qu'ils l'ont conçu très précisément dans cette optique.
Irelia s'approche un peu plus, discrète au possible, et prend garde à ne refléter aucune lumière. Elle ne peut sauver cette enfant, mais elle ne peut la laisser seule… C'est au-delà de ses capacités. Elle s'avance donc encore un peu plus lorsqu'un coup de tonnerre déchire le ciel azuré.
Les jeunes regardent vers le ciel, Irelia aussi. Rien de plus que la lumière du dieu Larfill et l'immensité bleue. Rien de plus, mais le tonnerre explose de nouveau, puis une troisième fois.
Une gamine crie de peur, les autres se rapprochent et se massent. Irelia, elle, scrute le ciel. Un nouveau coup de tonnerre… Non, c'est un hurlement. C'en étaient tous. Ils viennent du nord-ouest, se succèdent sans jamais s'interrompre, si bien que l'univers n'est bientôt plus qu'un perpétuel déchirement, et ce jusqu'à ce qu'Irelia voit d'immenses ailes reptiliennes se découper dans le ciel.
Elle recule tandis qu'une nuée de wyvernes approche. Le dernier fléau des hommes vole vers eux et, bien malgré elle, Irelia ressent la peur primale qu'inspirent les descendantes des dragons. Elles sont une petite dizaine et arrivent en un instant au-dessus du bûcher.
C'est autour de lui qu'elles arrêtent leur progression et qu'elles décident de commencer à tourner. Une bleue couverte d'épines hurle sa rage. Elles sont immenses, puissantes et fières. Une d'or et d'argent plonge pour n'ouvrir ses ailes qu'au dernier instant. Le bûcher semble soufflé et l'instant d'après une noire, plus petite que toutes les autres, probablement plus jeune, s'écrase dessus. Elle referme ses ailes couleur de nuit autour du feu et l'étouffe sous une chape noire. Seule une ligne blanche, du sommet du crâne à l'extrémité de la queue, longe l'échine de la bête pour donner un sens au tas de muscles et d'écailles.
Irelia recule. Une blanche et verte fond sur les jeunes, jusqu'alors paralysés de peur. Le groupe explose immédiatement. Chacun pour soi et que les meilleurs survivent… Mais aucun d'entre eux ne l'est et ils tombent les uns après les autres, déchirés, calcinés. Écrasés, aussi.
Seuls les cousins parviennent à fuir en esquivant les assauts, jusqu'à qu'une jaune et orange les prenne en chasse. Ils courent pour leurs vies, esquivent la première fois qu'elle essaie de les prendre entre ses serres. La seconde est la bonne.
Irelia voit la bête resserrer juste assez son étreinte pour que quelques gouttes de sang en coulent. La noire hurle alors et terrifie la sorcière elle-même. Celle d'or et d'argent s'élève, s'approche des serres de la jaune orange et souffle un enfer de flammes sur ses pattes. La blanche et verte la rejoint. La bleu fait de même.
Les trois continuent quelques secondes et la jaune-orange libère les quelques restes calcinés encore prisonniers de son étreinte.
Toutes s'en vont à l'exception de la noire et Irelia ne sait quoi penser. Que… Que vient-il de se passer ? Elle ne peut s'empêcher de regarder autour d'elle. L'herbe restante et les arbres sont couverts de cendres, mais… Mais le monde est à nouveau silencieux. Plus de crépitements, plus de cris, plus de hurlements. Plus rien.
Est-ce vraiment arrivé ? Seule l'odeur sale des corps brûlés en atteste réellement.
La wyverne noire renâcle et Irelia se tourne. La bête écarte les ailes sans cesser de fixer l'endroit où se trouve la flaque qu'est Irelia. La sorcière inspire, puis se redresse pour prendre sa véritable forme, celle du jour de sa mort. Elle redevient la femme qui a passé sa vie sous un chapeau de sorcière aux bords trop grands et où elle enfermait la majorité de sa chevelure. Le chapeau est d'eau aujourd'hui, comme sa robe, son regard et sa peau… Et face à une wyverne, elle n'en est que plus rassurée. Elle s'enfoncera dans le sol si la bête l'attaque.
Ça n'est qu'à cet instant qu'elle remarque les pupilles carmin de la wyverne.
« Est-ce… » Elle hésite un instant. « Est-ce pour cela que… »
La wyverne baisse la tête, pousse quelque chose hors des cendres. Irelia reconnaît immédiatement le corps de Saïna. Elle fonce dans sa direction… La gamine semble morte. Il ne… Non. Elle peut l'empêcher. Elle est une sorcière, la précédente matriarche du clan Düsud. Le monde entier l'a crainte. Elle peut y arriver.
Elle pose ses mains sur la petite, laisse son eau l'entourer dans une bulle régénérante.
Elle hésite soudain. Igneel devra…
« Non. Tu peux la soigner. » Quoi ? « Tu n'as empêché aucun homme d'agir.
— Alors c'est toi qui les as appelées…
— Non, je n'ai rien fait. »
Qu'est-ce que… ? Un million de questions surgissent alors. Igneel ne les a pas appelées ? Alors quoi ? Elles sont venues d'elles-mêmes ? Non. C'est impossible. La wyverne sang-dragon n'aurait réagi qu'à leur lien de sang ? La wyverne hurle soudain, ramène Irelia à sa tâche. Oui. Saïna.
« Excuse-moi. »
La wyverne dévoile ses dents pour toute réponse.
« C'est un sourire ça ? »
Elle est terrifiante. Irelia lui sourit, puis retourne à son œuvre. La petite est dans un sale état. Très sale. L'eau d'Irelia glisse de plaie en brûlure et la sorcière ne sait où commencer son soin.
Alors l'ancienne matriarche inspire profondément, retourne aux fondamentaux du soin physique. Commencer par le plus profond, toujours, puis remonter lentement vers la surface et la peau. Réparer les lésions et emporter les bactéries. Donner de sa propre énergie à la victime.
Elle sent les plaies qui se résorbent et le corps qui, lentement, reprend son activité normale… Puis le battement de cœur de la petite redevient fort. Irelia lève alors les yeux et elle tombe sur le regard scrutateur de la wyverne.
« Elle vit ! »
La bête « sourit » de nouveau avant de hurler à en rendre le tonnerre jaloux. Elle inspire, puis étend ses ailes. Elle est partie l'instant d'après.