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Chapter 25 - Qui, de tout le contingent, n'y était pas ?

 La soirée tombe, tranquille comme s'ils n'allaient pas en guerre, et Saïna progresse entre les tentes. Elle sent les regards qui se posent sur elle et les ignore au mieux. Quelques murmures, parfois, attirent son attention, mais elle ne veut pas leur donner trop d'importance. La vie qui résonne un peu partout, mélange de rires, de harangues et du chant des lames qu'on aiguise, lui facilite grandement la tâche.

 Elle n'est qu'une guerrière parmi les autres, l'une de ceux qui accompagnent les marcheurs et s'assure que personne ne manque de rien, qu'aucun ne risque d'être laissé trop loin derrière, que l'ennemi ne s'infiltre pas, que…

 Le grondement épais qui émerge de son estomac la tend. Elle a faim. Elle a faim et elle n'est pas sûre que les cuisiniers soient prêts. Elle a l'impression de ne plus avoir vécu de tel effort depuis son départ d'Egara… et ce n'est que le début.

 Elle continue sa progression, donc, observe les uns et les autres. Cela fait cinq jours qu'ils sont partis, mais elle n'a encore eu le temps — surtout l'envie — de parler avec qui que ce soit de nouveau. Échanger avec les autres guerriers la dérange. Ils sont tous à moitié admiratifs, à moitié atterrés par sa condition…

 Elle ne veut pourtant qu'une seule chose : reprendre sa patrie des mains des Oubliés, sauver son père et sa mère, se tenir bien droite devant eux pour leur montrer qu'elle est devenue quelqu'un. La quatre cent vingt-sixième Championne des flammes, notamment.

 Elle porte par réflexe une main au médaillon que lui a fait parvenir son père, sourit malgré elle.

 « Gamine. »

 Oh ce timbre las et faussement agacé… Elle ne se retourne pas immédiatement vers Alastor.

 « Saïna ! »

 Elle sourit de nouveau, se tourne pour voir deux hommes approcher à mesure que la foule s'écarte pour leur laisser le passage. À gauche, le professeur Alastor, a qui l'on a confié la tâche de récupérer toutes celles et tous ceux qui arriveront en cours de route. Sur sa droite un homme assez petit et grisonnant. Il a l'aspect académique des stratèges, un plastron gravé de plumes rougeoyantes en plus.

 Saïna le connaît, même si elle ne l'a jamais rencontré directement : Thosm de Dorïn, l'oncle de Bala. Un homme sévère parce qu'il n'a confiance qu'en ses propres compétences, si elle en croit sa camarade. Soit.

 « Professeur ?

 — Comment vas-tu ?

 — Bien, merci. Vous ? »

 Il grogne pour toute réponse, avant de jeter un regard au mage à ses côtés.

 « Saïna, je te présente Thosm de Dorïn. Il est en charge des mages de notre contingent. »

 Elle s'incline légèrement, juste comme il le faut.

 « Levez la tête, guerrière. » Le ton est sec, sans être désagréable. « Je n'ai pas demandé à vous rencontrer pour que nous nous perdions en convenances. » Oh ? « J'ai cru voir lors de la finale que ce n'était pas votre fort. »

 Ah. Il ricane, espiègle, et Saïna jette un regard désabusé à Alastor. Lui aussi y était. Qui, de tout le contingent, n'y était pas ?

 « Thosm, nous en avions parlé pourtant.

 — Rhô ça va. »

 Il roule des yeux et Saïna reconnaît l'effronterie naturelle de Bala à l'encontre de ceux qui ne sont pas nobles.

 « Thosm ?

 — Oui, oui. Je sais. » Il inspire profondément, avant de planter son regard d'onyx dans celui de Saïna. « Si j'ai demandé à vous rencontrer, c'est parce que j'ai besoin d'un maximum d'informations sur Egara.

 — Je…

 — J'ai besoin de plus que ce que vous avez pu dire au commandement ou que l'on trouve dans de vieux registres datant du règne précédent. »

 Son regard s'est durci un instant, juste assez pour que Saïna comprenne qu'elle n'échappera pas à Thosm de Dorïn.

 Il passe entre elle et Alastor, continue d'un pas convaincu vers les cuisines.

 « Avant tout chose. » Il n'a pas prévu d'attendre. « Quelle est la concentration d'énergie cristalline dans la vallée ?

 — Comment ? »

 Il ne s'arrête pas et les soldats continuent de s'écarter sur son passage.

 « La concentration d'énergie cristalline, comment est-elle ? Chargée ? Y a-t-il beaucoup d'esprits ?

 — Je… »

 Alastor soupire, puis traduit.

 « Ce que Thosm te demande, c'est à quel point il était simple d'utiliser ton élément lorsque tu vivais ici…

 — Non ce que…

 — Thosm.

 — Rhô ça va. »

 Saïna fronce les sourcils un instant. Le mage ne se comporte pas de la même manière avec elle et Alastor. Il lui semble moins noble lorsqu'il s'adresse à ce dernier.

 « Et donc, guerrière ?

 — Je ne sais pas.

 — Vous ne savez pas ?

 — Non. »

 Il grommelle avant de reprendre.

 « Qu'en était-il des animaux ?

 — Des animaux ?

 — Oui, des animaux. » L'agacement grimpe légèrement chez Thosm, mais il ne semble pas à Saïna qu'il soit dirigé contre elle. « Vous étiez bien chasseuse, n'est-ce pas ?

 — Oui.

 — Et donc, les animaux, avaient-ils des dons ? C'est un bon indicateur la plupart du temps. »

 Elle hésite un instant, puis jette un regard à Alastor, qui hoche la tête.

 Oui, les animaux avaient des dons dans son enfance. Sangliers brûleurs, lièvres venteux, perdrix orageuses… La plupart des bêtes sauvages étaient effectivement dotées d'un élément, mais…

 « Ha ! Vous voyez que vous savez. »

 Saïna fronce les sourcils et Alastor, d'un simple regard entendu, indique qu'il ne faut pas soulever.

 « Et les esprits élémentaires ? Des manifestations ? Une hiérarchie ?

 — Pas que je sache, non.

 — Aucun phénix, donc ?

 — Thosm.

 — Quoi ? Ça ne coûte rien ni de demander, ni de répondre le cas échéant… »

 Mais il s'interrompt lorsqu'ils arrivent devant un espace plus grand, plus ouvert aussi, où de nombreuses tables ont été installées. Les cuisines ont commencé à tourner et les quelques guerriers sont déjà attablés.

 « Sieur de Dorïn ! »

 La voix vient de leur droite, et Saïna la reconnaît immédiatement. Regia, sa chevelure rousse tenue en arrière, un chemisier pourpre et un pantalon blanc — la tenue officielle des assistants au commandement — approche.

 « Quoi, encore ?

 — La commandante vous demande. »

 Elle a fière allure avec son épaulière de cuir aux armoiries de sa famille et le fouet à sa ceinture. Elle est à sa place, Saïna le sent à la manière qu'a son amie de se tenir droite et de ne pas décrocher son regard de celui du chef des mages — c'est probablement ainsi qu'elle le voit présentement.

 « Je vous suis… Saïna, nous reprendrons cette conversation plus tard.

 — Oui, bien sûr. »

 Et ils s'éloignent. Alastor et Saïna les suivent du regard jusqu'à ce que Regia lève la tête par-dessus son épaule et lance un regard surchargé d'amitié et d'histoires à raconter à Saïna, qui lui répond par un signe de la main.

 Elles auront bien le temps de discuter, à un moment.

 « Vas-y, je t'écoute. »

 Elle avait oublié Alastor, le temps d'une seconde. Elle lève les yeux vers lui.

 « Tu vas me dire que tu ne te poses aucune question sur le phénomène que tu viens de rencontrer ?

 — Oh ! » Et elle réalise soudain que le professeur a raison. « Qui est-il ?

 — Thosm de Dorïn, représentant de la maison du même nom et Protecteur de la Flamme éthérée. Il est connu pour être spécialisé dans la magie de combat et les recherches sur les phénix.

 — D'où le connaissez-vous ?

 — Qui te dit que… » Il s'interrompt sur le regard entendu de Saïna. « Il a fait partie de l'académie aux Trois-flammes, comme nous. Il était de la promotion au-dessus de la mienne, et je l'ai vaincu lors de la Grande Finale. »

 Elle écarquille les yeux, et le professeur, pour une fois, se permet un léger sourire d'orgueil. Il n'y a que de cette période dont il semble tirer de la fierté.

 « C'est votre Hetros, donc.

 — Non.

 — Pourquoi ?

 — Parce qu'il n'a jamais passé la nuit dans ma chambre ni moi dans la sienne. »

 Et Saïna rougit, légèrement. Rien de grave : elle n'a honte de rien. Ni d'elle, ni d'Hetros, ni des fois où ils se sont vus sans prévenir Regia. Elle ne s'attendait juste pas à ce que le professeur sache.

 « D'autres questions, ou nous pouvons aller manger ? »

 Saïna fronce les sourcils, porte une main contre ses lèvres pour surjouer une réflexion profonde et détaillée. Y a-t-il autre chose qu'elle veuille savoir ? Non, c'est bien suffisant ainsi. Ils seront amenés à se revoir de toute manière.

 Elle va pour répondre, mais une voix s'élève et surplombe les bruits du camp.

 « Tu es trop lente… Trop peu restent… »

 Et elle se fige. Pourquoi ? Elle jette un œil autour d'elle, la vie continue comme si de rien n'était. L'a-t-elle rêvée ? Elle observe Alastor, dont le regard trahit l'inquiétude face au silence.

 Elle respire lentement, serre discrètement les poings. Le sang a reflué de son visage, de son corps tout entier. Heureusement que cela se voit peu, chez elle.

 « Saïna ? »

 La voix est lointaine, mais elle l'a entendue.

 « Oui, non. Désolée… » Elle inspire, balaie l'espace autour d'elle. « Allez-y, je vous rejoins. »

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